Solennité de Saint Bernard, abbé

Clairvaux, « école d’amour »

Lorsque Bernard se présenta à Cîteaux pour s’y faire moine, il ne vint pas seul.  Une trentaine de compagnons, membres de sa famille et proches, avaient été convaincus par Bernard de l’accompagner dans ce qui n’était alors que le « Nouveau Monastère », dont la réputation était encore à faire.  C’était en 1112 environ.

Quelques années plus tard, Saint Étienne Harding envoyait Bernard avec quelques compagnons, dont certains qui étaient entrés à Cîteaux avec lui, pour aller fonder l’abbaye de Clairvaux.  C’était en juin 1115.

Clairvaux se développa beaucoup plus rapidement que toutes les autres abbayes fondées par Cîteaux, à tel point qu’aujourd’hui certains imaginent que c’est Bernard qui a fondé l’Ordre Cistercien.  À la mort de Bernard, l’Ordre comptait 345 monastères de moines, dont 165 dans la filiation de Clairvaux.  L’abbaye de Clairvaux comptait alors environ 800 moines…  Il est probable que la personnalité et l’enseignement de Bernard sont pour beaucoup dans ce rayonnement exceptionnel.  Peut-on se l’expliquer aujourd’hui ? 

Dans un de ses premiers ouvrages, le Traité de l’Humilité et de l’Orgueil, Saint Bernard met déjà les bases de sa manière de vivre la doctrine Bénédictine de la scola caritatis.  La miséricorde y est mise en rapport avec l’humilité et avec la vérité.   Trop souvent on croit que l’humilité consiste à s’écraser, à mortifier les dons reçus de Dieu.  Cela n’est pas de l’humilité, c’est de l’humiliation, caricature de la vraie humilité.  Bernard donne de l’humilité cette définition fulgurante : la perfection de l’humilité est la connaissance de la vérité (Hum II,5).  Il s’agit de se regarder tel qu’on est, sans masque, sans maquillage, alors que l’homme est si souvent porté à jouer un personnage, devant les autres mais aussi devant lui-même, et jusque devant Dieu.  Cette reconnaissance lucide et honnête de sa propre misère est le chemin qui conduit à l’humilité.  C’est pourquoi Bernard attribue un rôle essentiel à la connaissance de soi dans la vie spirituelle.  Cette connaissance de soi consiste à se juger en vérité à la lumière de la Parole de Dieu, qui démasque notre péché, mais nous révèle en même temps la divine miséricorde.  

Cette expérience change ses relations avec les autres : il se découvre solidaire du péché d’autrui, car il se sait pécheur lui-même.  Il peut alors comprendre ses proches, les aider dans un esprit de douceur, au lieu de les juger avec colère.  Celui qui a reconnu son péché à la lumière de la miséricorde, devient humble.  Mais comment mettre en œuvre le passage de l’agacement, du jugement sévère, à la compréhension et à l’accueil – passage qui est loin d’être évident.  Saint Benoît déjà nous rappelle dans le chapitre « Du Bon Zèle » comment chacun de nous doit supporter avec une extrême patience les infirmités physiques et morales de ses frères.  C’est la compassion, qui ne se réduit pas à une bienveillance.  C’est pourquoi Bernard affirme, toujours dans le Traité de l’Humilité : Pour avoir un cœur compatissant à la misère d’autrui, il faut d’abord que tu connaisses la tienne propre, afin que tu découvres dans ta propre âme l’âme de ton frère, et apprennes de toi-même comment le secourir, à l’exemple de notre Sauveur qui a voulu souffrir pour savoir compatir, devenir misérable pour apprendre à avoir pitié (Hum III, 6)

Cette dernière affirmation est assez osée, mais tellement claire et réaliste : c’est par le partage de notre condition humaine, de nos infirmités, que Dieu lui-même a appris par expérience en Jésus-Christ la miséricorde qu’il possédait de toute éternité par nature. 

Dans la vie concrète, Bernard a toujours fait preuve de la plus grande miséricorde envers ses frères.  Elle se traduit avant tout dans une grande patience, dans la capacité de supporter les infirmités physiques et morales des personnes avec lesquelles on vit.  Bernard sait accueillir et supporter les moines qui viennent l’importuner pour des futilités alors qu’il souhaite s’isoler avec le Christ ou écrire ses sermons sur le Cantique.  Mais ses frères ont également dû apprendre à supporter leur abbé…  D’abord ses problèmes de santé, puis ses longues absences, enfin son caractère.  Bernard connaît ses défauts et n’hésite pas, dans un Sermon sur le Cantique, à les reconnaître : la tristesse, la colère, l’impatience (S.Ct 30,7).  Aussi ma vie commune devient-elle le lieu où chacun apprend à porter les faiblesses des autres, afin d’être porté à son tour, selon l’enseignement de Saint Paul aux Galates : Portez les fardeaux les uns des autres, vous accomplirez ainsi la loi du Christ (Ga 6,2).

En ce jour de fête, demandons à Saint Benoît, à Bernard, la grâce de vivre en vérité ce que nous chantons dans le Ps 131 : Qu’il est bon, qu’il est doux, de vivre ensemble en frères.  Il n’y a que le Christ qui peut nous enseigner comment vivre la miséricorde et avoir foi en nos frères, malgré leurs faiblesses, malgré nos propres faiblesses. 

C’est ce que nous avons demandé à Dieu dans l’oraison à l’Office de Tierce :
Nous te rendons grâce pour l’amour de l’Église
et le souci de ses contemporains qui animaient Saint Bernard. 
Qu’une même charité nous habite et s’exprime dans notre vie. 
Amen.

Père Bernard-Marie

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