Solennité de Saint Bernard, abbé

Bernard, pasteur du troupeau

Dans un certain nombre de ses sermons, Saint Bernard décrit la communauté monastique qui est celle de Clairvaux, mais également la communauté monastique idéale dont il rêve.  Souvent il reconnaît que le rêve n’est pas la réalité, et qu’il doit, en tant qu’abbé, accepter la réalité qui n’est pas toujours glorieuse…

Ainsi, dans un Sermon pour le dimanche des Rameaux, Saint Bernard évoque l’impressionnante diversité qui existe entre les moines, y compris sur le plan spirituel.  Il s’inspire de la procession qui accompagne l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem juste avant sa Passion et sa Mort.  Et de préciser : dans la procession il y en a qui marchent à différentes vitesses : il y a ceux qui foncent à toute allure et ceux qui traînent, les fervents et les tièdes, les délicats et aussi les durs, qui regimbent et ronchonnent sans arrêt. 

Ce qui était vrai du temps de Saint Bernard, l’est de tous les temps de la vie monastique.  Chaque communauté est composée de membres issus de différentes classes sociales, cultures, pays, régions.  Sans parler des différences d’âge des moines ayant vécu des décennies en communauté et ceux qui sont arrivés tout dernièrement.  Les anciens peuvent se plaindre du bon vieux temps où tout était parfait, tandis que les jeunes sont pleins d’ardeur pour améliorer la vie fraternelle et la liturgie. 

Bernard a toujours reconnu que l’unité communautaire admet des opinions divergentes sur des questions matérielles ou d’organisation.  C’est également vrai pour les communautés d’aujourd’hui.  Mais ce que nous devons dénoncer et combattre, selon l’expérience de Saint Bernard, c’est le vice particulier de la « singularité ». Dans la communauté, comme dans toute famille d’ailleurs, la singularité c’est de ne pas faire comme tout le monde, de chercher son propre intérêt, de s’écarter de la volonté commune en préférant faire sa volonté propre.  Cela conduit à des apartés, conversations clandestines, cabales, qui provoquent la division de la famille. 

Pour Bernard, la condition de l’unité communautaire – et aussi de l’union avec Dieu – est l’unification personnelle.  Que chacun soit en paix avec lui-même.  Il pourra alors donner du temps à Dieu, à soi-même et aux autres.  C’est ainsi qu’il affirme, dans un de ses sermons pour la Dédicace :
Il nous faut mette notre zèle à bâtir en nous un temple pour le Seigneur,
avec le souci d’abord qu’il habite en chacun de nous, puis en nous tous ensemble. 
(S.Déd II, 3)

La recherche de la communion ne doit pas étouffer la légitime diversité des caractères et la multiplicité des charismes que l’Esprit Saint répand généreusement à l’intérieur d’une même communauté.  Bernard nous enseigne à nous enrichir mutuellement de nos différences, dans un esprit d’ouverture et d’accueil. 

Dans un monastère, dons de Dieu sont variés, comme les fleurs dans le jardin.  Contre la tentation de la jalousie, Bernard donne un sage conseil à ses moines : si quelqu’un n’a pas l’une ou l’autre de ces qualités qui font la beauté de ses frères, qu’il l’admire en eux.  Il y a ici une conception de la vie commune, comme un échange mutuel des biens que chacun a reçus. 

Mais en sens inverse, Bernard demande à chacun de partager avec ses frères les dons reçus.  Alors, tous te rendront le témoignage que, toi aussi, tu exhales les parfums les plus exquis (S.Ct 12,5). Cette union réciproque dans l’amour n’est pas unité fusionnelle.  Chacun des frères garde son mystère, et avance avec la grâce de Dieu vers un plus grand amour fraternel et un plus grand amour de Dieu, comme Saint Bernard le développe longuement dans son Traité de l’Amour de Dieu.  Ce n’est qu’au ciel que nous découvrirons le vrai visage de chacun de nos frères, tous unis dans la contemplation du Seigneur que nous avons cherché confusément durant notre vie sur terre et en communauté. 

En cette fête de Saint Bernard, demandons à Dieu, avec les paroles d’une des prières du sanctoral cistercien :
Seigneur Dieu, tu choisis certains hommes pour faire briller ta lumière
dans la succession des époques. 
Accorde-nous de percevoir la clarté qui rayonne toujours de ton serviteur Bernard
et de la refléter de manière vivante en notre temps. 

Et, pour paraphraser cette autre oraison : que Saint Bernard nous donne de témoigner par notre vie de tous les jours de cette rencontre de l’amour de Dieu et de l’amour de nos frères,
pour avancer toujours en fils de lumière, dans la même ferveur du même esprit.

Par l’intercession de Saint Bernard, que le Seigneur nous comble de ses grâces en ce jour de fête. 

Père Bernard-Marie

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