Largeur, longueur, hauteur, profondeur…
Lorsque Saint Bernard apprend que son fils spirituel et abbé de l’abbaye de Tre Fontane près de Rome, est devenu pape sous le nom de Eugène III, il ne peut s’empêcher de lui écrire et de lui dédicacer une œuvre qu’il écrit tout spécialement à son intention, le De Considaratione, ‘de la Considération’. Sans faire un résumé de cette œuvre, disons simplement que Bernard suggère au Pape de ‘considérer’ les tâches qui sont les siennes pour les traiter selon leur importance. Bernard demande au Pape de considérer successivement : lui-même, ce qui est sous lui, ce qui est autour de lui et enfin ce qui est au-dessus de lui. Le Cinquième Livre traite du sujet suivant : De la considération de ce qui est au-dessus de vous, c’est-à-dire de Dieu et des choses divines. Et, dans les deux derniers chapitres, comme bouquet final de toute l’œuvre, Saint Bernard se demande : Qu’est-ce que Dieu ? À quoi il répond : Il est tout à la fois longueur, largeur, hauteur et profondeur.
Il ne suffit bien évidemment pas d’aligner les attributs pour connaître qui est Dieu. Même si Saint Bernard se réfère à une phrase de l’épître de Paul aux Ephésiens (3,18), mais il explicite sa pensée dans la suite de son œuvre, et nous essaierons de le suivre dans sa démarche.
Ce ne sont pas des divisions dans la substance divine qu’expriment ces quatre mots, ni des dimensions telles qu’on en voit dans les corps, ni une distinction de personnes, comme celles que nous adorons dans la Trinité, ni enfin un certain nombre de propriétés, … nous dit Saint Bernard. Ces termes permettent à l’intelligence humaine d’exprimer quelque chose de Dieu avec des paroles humaines, sans pour autant réduire Dieu aux limites de notre propre compréhension. De plus, précise Saint Bernard, il ne s’agit pas de chercher à connaître Dieu, mais à le « saisir », comme Il nous a saisi – pour reprendre une autre expression de Saint Paul. Et Bernard de préciser la nuance : saisir et non connaître, afin que nous ne nous contentions point de satisfaire notre curiosité par la science, mais que nous aspirions de toutes nos forces à en recueillir les fruits. Encore faut-il préciser ce que veulent dire les quatre attributs qu’il donne à Dieu. C’est ce que Bernard explique :
Qu’est-ce donc que Dieu ? Il est longueur, c’est-à-dire l’éternité ; car elle est si longue qu’elle n’a point de limites ni dans le temps ni dans l’espace.
Il est aussi largeur, c’est-à-dire la charité, qui est elle aussi sans limites. Cela signifie, commente ensuite notre auteur, que la largeur en Dieu égale la longueur. Ainsi Dieu dépasse les étroites limites du temps et de l’espace qu’Il a créés et où Il a placé l’homme.
Qu’est-ce encore que Dieu ? Il est hauteur et profondeur, et se trouve ainsi d’un côté au-dessus, de l’autre au-dessous de toutes choses. Dans la hauteur considérez sa puissance, et dans la profondeur voyez sa sagesse. Et Bernard de s’écrier avec Saint Paul : O admirable profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! (Rm 11,33)
Mais il ne suffit pas de définir ces quatre attributs de Dieu, comme l’écrit ensuite Saint Bernard : Nous savons toutes ces choses, pensons-nous pour cela les avoir saisies ? On n’y parvient que par la sainteté et non par le raisonnement, si toutefois il est possible de comprendre ce qui est incompréhensible. Mais Bernard reprend le verset de l’épître aux Ephésiens où Paul nous invite à saisir avec tous les saints la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur… Et il commente : Les saints les saisissent : me demandez-vous de quelle manière ? je vous dirai que si vous êtes saint, vous les avez saisies vous-même et par conséquent vous savez comment on les saisit : si vous ne l’êtes pas, devenez-le, et vous le saurez par votre propre expérience.
Tel est l’appel que Bernard adresse au Pape, mais également à tous les croyants, à chacun de nous : devenez saints. Ensuite, avec l’époux du Cantique nous pourrons nous écrier : Je le possède, je ne le laisserai pas aller (Ct 3,4). La tâche n’est pas aisée autant qu’elle ne dépend pas de notre bonne volonté mais de la grâce de Dieu qui œuvre en nous. La prière, la contemplation, nous aident à nous approcher de Dieu et à devenir saints. C’est pourquoi Bernard proclame avec force : Qui n’est dans l’admiration en contemplant la gloire de Dieu ? Qui n’est saisi de crainte en sentant les abîmes de sa sagesse ? qui n’est embrasé d’amour en méditant sur l’amour de Dieu ? et qui est-ce qui ne dure et ne persévère dans l’amour en voulant imiter l’éternité de la charité de Dieu ?
Il rapporte dans ces expressions les quatre attributs qu’il avait trouvés en Dieu, la gloire, la sagesse, l’amour et l’éternité de Dieu. Et il continue : contempler Dieu de la sorte élève l’homme vers les choses célestes, ne fût-ce que pendant quelques instants, par une sorte de sainte stupeur et d’extase.
Enfin, Bernard conclut son livre par cette affirmation qui lui vient de sa propre expérience spirituelle : Il nous resterait encore à chercher celui que nous n’avons encore trouvé que d’une manière imparfaite et qu’on ne saurait trop chercher. Mais peut-être la prière est-elle préférable à la discussion pour le rechercher et un moyen plus facile de le découvrir.
En ce jour de fête de Saint Bernard, demandons pour nous-mêmes et nos proches la grâce d’une aussi grande intimité avec Dieu dans la prière et la contemplation. Que la participation à cette eucharistie festive nous ouvre la voie vers une découverte toujours plus profonde de cette intimité avec Dieu dont Bernard nous a parlé d’abondance du cœur.
Frère Bernard-Marie