Jeud Saint, Institution de l’Eucharistie

Comprenez-vous ce que je viens de faire ?

Par la célébration de la Sainte Cène en ce Jeudi Saint, nous entrons de plain-pied dans la grande célébration du Triduum Pascal.  Les trois lectures que nous venons d’entendre nous donnent chacune un éclairage spécifique et nous permettent de communier au plus près des sentiments que Jésus éprouva en ces jours. 

Les quatre évangiles nous rappellent que le dernier repas de Jésus, son repas d’adieu, eut lieu la veille ou l’avant-veille de la Pâque et qu’il tint lieu de repas pascal Juif.  C’est la raison pour laquelle nous avons entendu en première lecture les rites de la Pâque tels qu’ils furent prescrits par Moïse la veille de la sortie d’Égypte. 

Jésus devait avoir bien conscience que ses derniers jours étaient arrivés.  Probablement aussi prévoyait-il que le Sanhédrin allait l’arrêter avant la fête de la Pâque.  Lorsqu’on lit attentivement les Évangiles on voit bien que Jésus reçut des avertissements que les chefs religieux voulaient sa mort.  C’est ainsi qu’il décida de célébrer un dernier repas avec ses disciples.  Ce repas d’adieux, l’avant-veille de la Pâque, avait les aspects d’un repas pascal, mais tourna différemment. 

C’est ce que nous enseigne Saint Paul dans l’extrait de la Lettre aux Corinthiens.  Paul rapporte aux Corinthiens les Paroles de la consécration du pain et du vin.  Cela veut dire que dès les premières décennies après la mort de Jésus, les chrétiens ont commémoré ce repas d’adieu, qui devint le repas Eucharistique que nous connaissons.  Paul précise qu’il « transmet ce qu’il a lui-même reçu ».  Il transmet non pas les paroles exactes prononcées par Jésus, mais ces Paroles telles qu’elles ont été transposées dans le rite de l’Eucharistie.  C’est une des raisons pour lesquelles la célébration de la Cène du Seigneur chaque Jeudi Saint prend une telle solennité.  Nous commémorons le repas d’adieux de Jésus, revu liturgiquement pour devenir jusqu’à aujourd’hui l’institution de l’Eucharistie, don sacramentel du Corps et du Sang de Jésus.  Les disciples, bien évidemment, ne devaient rien comprendre aux paroles de Jésus. 

Ce repas, où Jésus donne sa Chair à manger et son sang à boire, prend en effet tout son sens après la passion, la mort et la résurrection de Jésus.  C’est justement parce qu’Il est passé de la mort à la Vie que la participation au Sacrifice de la Messe est pour nous chemin de vie, chemin de vie éternelle.  À l’occasion de la nouvelle traduction du Missel, l’on nous propose comme paroles du prêtre à l’ouverture de la messe : Préparons-nous à célébrer le Mystère de l’Eucharistie.  Il s’agit bien d’un Mystère, et on n’y entre que dans la foi au Christ, dans la foi aussi à sa résurrection salvatrice et à notre propre résurrection future. 

Saint Jean, dans son Évangile, ne rapporte pas le dernier repas de Jésus avec ses disciples.  Mais il nous décrit longuement le lavement des pieds, ce que l’on appelle le « Mandatum ». 

L’ouverture de la séquence par Saint Jean est solennelle :
Jésus, sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père,…
Jésus, sachant que le Père avait tout remis entre ses mains,…

Par le geste qu’Il fait, Jésus veut rappeler à ses disciples, en ce moment crucial, on pourrait dire en guise de testament, le cœur de tout son enseignement depuis les tous premiers jours de sa vie publique.   C’est l’amour que Jésus porte à tous ceux qu’Il rencontre.  Cet amour est la source de sa liberté, comme l’amour doit également être la source de notre liberté. 

Jésus sait que sa fin est proche, qu’il sera tué sur ordre des chefs religieux de son peuple.  Cela est une énorme humiliation pour Lui, Il le vit également comme un échec de toute son œuvre, de tout ce pour quoi Il s’est fait homme. 

En ce moment crucial, j’oserais dire crucifiant, Jésus veut donner un dernier message fort à ses disciples, message dont ils se souviendront des années après, tout comme ils se souviendront du repas lui-même que les trois Synoptiques et Saint Paul nous rapportent. 

Saint Jean donc, décrit de manière solennelle les gestes banals, d’autant plus banals qu’ils étaient habituellement faits par un serviteur voire un esclave.  Lorsque Jésus fait ces gestes si pauvres en eux-mêmes, ils acquièrent une grande noblesse.  Tout l’amour que Jésus a enseigné, tout l’amour avec lequel Il a accueilli, écouté, guéri les personnes qui venaient à lui, tout cet amour, Jésus le met dans ces gestes si modestes, si humbles.  C’est peut-être en se référant à ce geste ultime de Jésus que Paul rapporte dans son épître aux Philippiens cette hymne qui revient comme un leitmotiv depuis Dimanche dernier et tout au long de la Semaine Sainte (Ph 2, 6-8) :
Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, (ou esclave)
devenant semblable aux hommes.  Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.

Mais sur le moment, Pierre ne comprend pas, tout comme le Baptiste ne comprit pas pourquoi Jésus se faisait baptiser par lui.  Jésus répondit à chacun :
C’est ainsi … tu comprendras plus tard. 

C’est ce geste de parfaite humilité que nous rappelons d’habitude dans le rite du lavement des pieds en cette célébration du Jeudi Saint.  Pour respecter les gestes barrière en ce temps de pandémie, nous ne ferons pas le rite, mais le commentaire que je viens de vous en faire vous aidera à comprendre ce que Jésus a voulu enseigner à ses disciples comme message ultime avant de mourir. 

Père Bernard-Marie

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