Funérailles de Père Yves

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1 Cor 15, 19-23; Jn 6, 37-40.

 

 

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C’est avec une pointe d’agacement que Jésus répond à ceux qui se sont regroupés autour de lui et qui murmurent à son sujet. Ce passage de l’évangile de Jean, où Jésus déclare qu’il est « le pain de vie descendu du ciel » n’est pas le seul où l’on perçoit l’attitude provocatrice de Jésus et la résistance de ceux qui l’entourent. L’évangéliste, au fur et à mesure que son récit progresse en intensité dramatique, rend presque palpable l’hostilité croissante des pharisiens, tout en soulignant la détermination sereine de Jésus à aller jusqu’au bout.

C’est sans aucune concession que Jésus continue à affirmer cet amour inaltérable du Père pour tous ceux qui viennent à lui: « celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors », affirme-t-il! Et tous les bien-pensants et les médisants n’y feront rien. Jésus accueille, il ouvre ses bras et son coeur à tous ceux qui cherchent, avec inquiétude et anxiété, dans le doute ou l’obscurité. Jésus est venu pour eux, il est venu pour nous. Il tient à ce qu’aucun de ceux que le Père lui a confiés ne se perde: « la volonté du Père qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés », insiste-t-il.

Ainsi, pour Jésus, la foi ne consiste pas à condamner, à examiner, à rejeter, mais tout simplement à accueillir. Et toute la vigueur de sa parole et de ses agacements tient dans cette fidélité à la mission qui lui a été confiée. Jésus est venu pour sauver et non pour condamner! Cela pourrait paraître simple et évident, s’il n’y avait, en face de lui, des gens bien plus nombreux convaincus du contraire. Jésus se présente comme le Sauveur, eux se voient comme des juges. Jésus cherche la volonté du Père, eux passent leur temps à essayer de tirer des Ecritures ce qui leur convient. Jésus agace ces hommes pleins d’eux-mêmes, et eux sont agacés par Jésus qu’ils considèrent comme un provocateur.

 

 

Dans ce portrait du Seigneur Jésus, vous aurez reconnu, sans trop de difficultés, je crois, quelques traits de la personnalité de notre Père Yves! Agaçant et provocateur, il l’était par moments, et il se faisait même parfois un plaisir de forcer le trait, d’accentuer la difficulté. Et nombreux furent ceux que sa parole dérouta et même choqua, avant qu’ils ne se laissent toucher par son inlassable recherche de vérité, ou plutôt de justesse. Père Yves ne se prenait pas pour Jésus, loin de là, mais il avait reçu du Seigneur cette passion qui ne laisse jamais en repos quand il s’agit d’approcher la vérité.

Tout ce qu’il entendait, tout ce qu’il lisait, il avait besoin, un besoin irrépressible, de le passer au crible de cette justesse. Les grandes formules ne l’impressionnaient guère, et les titres ronflants encore moins. Ce qu’il goûtait chez autrui, c’est cette capacité d’honnêteté qui permet d’entendre ce qui n’est pas toujours agréable et surtout d’en profiter. Ses réparties parfois cinglantes n’étaient jamais blessantes, ou ne voulaient jamais l’être. Il avait cet immense respect pour l’irréductible mystère de l’autre qui se dévoile à nous quand un autre vient à croiser notre chemin.

Père Yves savait parler aux êtres, et surtout les écouter. Les épreuves parfois rudes qui ont jalonné son existence ont sans doute forgé en lui ce caractère à la fois solitaire et ouvert qui lui permettait d’écouter pendant des heures des personnes au parcours tourmenté. Mais s’il écoutait, c’était sans complaisance. S’il était respectueux de l’autre, ce n’était jamais au détriment de cette justesse dont il s’était fait l’infatigable apôtre.

Ce visage original et singulier de Jésus, que Père Yves reflétait, n’avait rien de confortable, pour nous comme pour lui. Et pourtant, au fil des années, les arêtes s’étaient adoucies et les aspérités étaient devenues moins raboteuses. Le temps avait doucement fait son oeuvre. Père Yves continuait à agacer, parfois, mais bien plus souvent, il exerçait une malicieuse fascination sur ceux qui le rencontraient. Cette fascination, cependant, ne s’arrêtait pas à lui-même, mais elle conduisait invariablement à un Autre. Cet Autre qui l’accueille aujourd’hui dans l’au-delà de cette vie; dont l’apôtre Paul nous parlait dans la première lecture.

 

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