Vingtième Dimanche du T.O.

Prov 9, 1-6; Eph 5, 15-20; Jn 6, 51-58.

 

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Alors que nous sommes habitués à entendre parler de l’eucharistie juste avant les récits de la Passion, l’évangéliste saint Jean évoque, quant à lui, le discours sur le pain de vie dès son chapitre six, alors que son évangile en compte plus de vingt. Cette première indication est déjà en soi tout un enseignement, que les Pères de l’Eglise n’ont pas manqué de remarquer. Jésus sait où il va. La Passion n’est donc pas un accident de parcours ou le fruit d’un hasard malheureux. Dès le début de sa prédication, Jésus place son ministère dans la perspective du sacrifice, du don de sa vie.

 

Mais cela a aussi une autre conséquence, que Jean souligne tout au long de ce chapitre six. A mesure que Jésus dévoile le dessein bienveillant de Dieu, comme le dira Saint Paul dans son Epître aux Ephésiens, il se heurte à l’incompréhension, puis à l’hostilité et enfin à la haine de ceux à qui il s’adresse. Jésus n’est pas reçu, sa parole est examinée avec défiance, disséquée avec malveillance, pour être ensuite rejetée.

 

Jean aurait pu profiter de la montée de cette hostilité, qui se transforme peu à peu en haine passionnée, pour présenter Jésus comme la victime d’un complot des méchants, pris au piège par ceux qui refusent d’écouter la parole de Dieu. Mais l’évangéliste n’est pas tombé dans le piège d’utiliser l’intensité dramatique pour capter l’attention de son lecteur. Au contraire, au fur et à mesure que l’hostilité des auditeurs se transforme en complot pour exploser en haine, Jésus, au contraire, demeure serein et bienveillant. Il suit, imperturbablement, la voie tracée par le Père. Il annonce la bonne nouvelle du salut à ceux qui ne veulent plus l’entendre. Il fait la volonté du Père.

 

Dans ce jeu paradoxal, qui nous est relaté par l’évangéliste saint Jean, ce ne sont pas les méchants qui contraignent Jésus à se défendre et lui imposent leur vision pervertie du monde et de la vie. Mais au contraire, c’est Jésus qui les emmène là où ils ne voudraient pas aller, et qui les oblige, par la limpidité et la douceur de son être, à se révéler tels qu’ils sont. En parlant inlassablement de son Père, en révélant toute la tendresse de son amour bienveillant, Jésus contraint ses adversaires à dévoiler la part de ténèbres et de misère qu’ils portent en eux.

 

Un peintre du haut Moyen-âge, dont j’ai oublié le nom, a représenté de manière bouleversante ce combat entre la lumière et les ténèbres. Le visage doux et lumineux de Jésus est peint au milieu d’une mer de visages difformes dont la haine et les vices ont terriblement altéré les traits, jusqu’à la caricature. Et, au milieu de cet océan de violence et de méchanceté, la sérénité du Seigneur est d’autant plus émouvante qu’il porte les instruments de sa Passion. C’est l’agneau sans péchés, le serviteur souffrant, annoncés par les écrits de l’Ancien Testament, qui s’avance vers le Père, en traversant la mer du péché des hommes.

 

Mais, alors que la foule perçoit, dans les paroles et l’attitude de Jésus, une insupportable condamnation de ses vices et de ses mensonges, l’évangéliste, au contraire, ne ressent qu’une seule et unique réalité: Jésus cherche tout simplement la volonté de son Père. Là où ses ennemis perçoivent un reproche à peine voilé et même une condamnation, Jésus n’exprime en fait que l’amour bienveillant de son Père qui aime et veut sauver tous les hommes.

 

Cet amour bienveillant, cette douce sérénité, cette tendre attention, nous sommes tous appelés à en vivre, qui que nous soyons. Comme le disait Saint Paul dans la seconde lecture, il suffit que nous tirions « parti du temps présent » en nous laissant « remplir par l’Esprit Saint », l’Esprit de Jésus. Alors toutes les hostilités, tous les refus, toutes les haines se transformeront pour nous en espaces de liberté et de paix. Et nous pourrons expérimenter ce que l’Apôtre Paul a lui-même vécu: « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »!

 

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