Funérailles de Père Nivard Giard

Lectures de la Messe : Apocalypse 21, 1-4 ; Luc : 12,35-39

         Je voudrais évoquer une récente petite facétie de P. Nivard qui pourrait bien figurer dans une série des sentences anonymes de nos Pères dans la vie monastique.
Avec son bon sourire, F. Nivard un matin à la salle des coules s’approche pour expliquer son absence au chapitre de la veille au soir : « je me suis endormi sur mon livre au scriptorium et quand je me suis réveillé, c’était trop tard pour rejoindre le chapitre ! » Je souris bien évidemment et en plaisantant lui dit qu’il avait manqué beaucoup car on commentait la recherche de Jésus perdu au Temple où Aelred de Rielvaux explique comment passer vers la Jérusalem Céleste ; – « Ah, c’est dommage tu ne sauras pas comment on passe de Nazareth à la Jérusalem céleste ! »  « Oh ! ce n’est pas très grave, répond-il, parce que j’y suis déjà ! »
Et c’était tellement vrai et visible. Je lui ai d’ailleurs dit que si j’avais la tristesse de devoir faire son éloge funèbre je raconterai ce témoignage.

          En effet, Il y était déjà, ou plutôt cette cité était descendue du ciel et Dieu avait fait sa demeure avec lui.  Nous voyions surgir depuis quelques temps en lui une terre et un ciel nouveau, la mer des craintes intérieures, d’une certaine timidité dans les relations, un généreux dévouement qui pouvait paraitre contraint et crispé, l’obscurité des courants qui troublent l’âme et la prive de sa joie, cette mer aux ternes reflets s’était finalement retirée, elle n’était plus.  Ce monde ancien qui faisait ombre à sa douce affection et ses bienveillantes attentions avait disparu. Une lumière d’aurore éclairait les eaux profondes de son cœur pour en révéler les délicatesses, son exquise et courtoise bonté déjà reconnue.

          Il l’exprimait d’ailleurs en vérité avec cette humble simplicité si évidente en parlant de son état : « Physiquement, c’est la décrépitude mais intérieurement, quelle joie ! »  Son visage et son regard confirmaient ce témoignage : Le Seigneur demeurait avec lui.
Le corps se délabrait, certes, mais libérait ainsi le fond de la mer et laisser découvrir sa tendresse compatissante et sa joie pour ses frères et toutes personnes rencontrées.

          C’est l’achèvement d’un combat d’une vie de moine qu’il avait choisie au terme de ses études, « pour me détacher de ma vie, écrit-il, « si le grain de blé ne meurt ! » Il faut que mon vieil homme pourrisse ; donner d’un coup ma vie au Seigneur m’en détacher pour m’attacher au Seigneur ».  Le Supérieur de l’Institution St Jean à Douai dit ne pas être surpris de le voir partir comme postulant, non pas au Mont des Cats, mais à l’Abbaye St Paul de Wisques où en fait, écrit l’Abbé de St Paul : « il ne s’est jamais bien senti à sa place, aspirant à une vie plus austère, plus retirée du monde, vers la T rappe. »  Ainsi en février 1956, René Marie Giard entre au postulat et devient F. Nivard « dans ma liberté de tout perdre, tout perdre pour gagner Jésus.  … user de ce droit le plus profond : celui de me donner à Jésus parce que Lui s’est donné. »    
Ainsi à travers les aspérités et rudesses du quotidien, certains que Jésus ne lui fera pas défaut « je choisis l’inclination du cœur à me renoncer pour vivre la simplicité de l’Evangile et aimer Dieu jusqu’à l’oubli de soi. »  Reçois moi Seigneur, selon ta parole et je vivrai !   Tout est dit et ce fut sa vie.

         Quelques années après la Profession solennelle, étudiant en patrologie orientale à Rome il s’enracine dans la foi des Premiers pères de l’Eglise et fait son miel de leurs écrits ; même l’irascible St Jérôme devient pour lui un ami. Ordonné prêtre, ce qu’il a dû accepter avec humilité et grande émotion. Dans l’obéissance et le dévouement de gaieté de cœur ou pas mais toujours de bon cœur il assumera entre autres les emplois d’hôtelier, puis présence au magasin, de Sous-Prieur, bibliothécaire, d’aumônier à la Fille Dieu où l’on se souvient de sa charité disponible au service de la communauté et du promeneur solitaire, chapelet à la main.  Il fut le Prieur estimé de 3 Abbés successifs, tâche que l’on sait délicate, qu’il assura en serviteur « bon et fidèle, patient et plein d’attention et d’affection » témoigne l’un d’eux.   

            Jusqu’au bout il est resté en tenue de service, sans réclamer ni récriminer, et précisément portier, « attendant son Maître, sous le visage des hôtes pour leur ouvrir la porte dès qu’ils frappent. »  Répondre ou s’approcher de ses frères avec un mot de reconnaissance, un sourire de sympathie, un regard de bienveillance et d’attention.   
Veilleur heureux par profession et vocation devant le tabernacle ou dans la liturgie des heures, sous les mots de l’Ecriture, le Maître le trouvait la lampe de son cœur allumé.
 Un jour Jésus était entré, Il ne savait pas quand. Il n’y pensait pas, Il ne l’avait pas vu venir à lui. Tout étonné, il le reconnut à la douce lumière qui le remplissait de bonheur ; tout devenait simple et heureux. Ni cri, ni douleur, Il avait essuyé toutes larmes de ses yeux.  F. Nivard savait le don de Dieu !

            A-Dieu, Frère Nivard,  A-Dieu nous te remettons,  mais déjà tu nous manques !

Les Portes de la Maison de Dieu s’ouvrent pour toi, Les Saintes et les Saints t’attendent,

La Vierge Marie t’ouvre les bras et ce qui nous console c’est que Jésus la ceinture autour des reins, te fera prendre place à table et passera pour te servir.    Heureux es-tu !

Père Abbé

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