Bénédiction abbatiale. Homélie de Mgr Lode Van Hecke

Frères et sœurs, chers frères de la communauté,
Nous venons d’entendre deux textes fondamentaux. Des textes qui sont essentiels, non seulement pour la vie personnelle de chacun, mais aussi pour la vie communautaire. En ce jour de la bénédiction abbatiale de Fr. Bernard-Marie, je veux me concentrer sur la signification de ces textes bibliques pour la communauté et pour fr. Bernard-Marie qui a été choisi par ses frères pour se mettre à leur service comme père abbé.

« Nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts », dit saint Paul dans la première lecture. C’est la proclamation centrale de notre foi chrétienne, le kérygme. C’est aussi à partir de son expérience de la résurrection que saint Jean a pu écrire dans sa première lettre cette phrase si simple, mais incandescente, à laquelle personne n’avait pensé avant lui : Dieu est amour. Dieu est amour ! Et c’est pourquoi Jésus est ressuscité, pourquoi nous sommes baptisés, pourquoi nous avons cherché notre vocation et l’avons trouvée dans la vie monastique, du moins en ce qui concerne les frères de la communauté du Mont-des-Cats et beaucoup d’entre nous ici présents. Notre foi en ce Dieu-Amour donne sens à notre vie non seulement dans le présent, mais aussi pour l’avenir.

N’est-ce pas en même temps le cri que nous entendons aujourd’hui en tellement de lieux sur notre terre : « Pourquoi devons-nous vivre ce que nous vivons maintenant ? » Il y a quelques jours, j’étais encore en Ukraine, avec trois collègues évêques, dont Mgr Johan Bonny, ici présent. Nous avons passé la dernière soirée dans la famille d’un prêtre gréco-catholique, marié et père de cinq enfants. Ils ont perdu Artem, un garçon de 26 ans, dans la guerre, près de Kharkov. Son frère Dmitro est encore au front. Voilà une famille d’une foi extraordinaire. Nous avons vu de nos yeux ce qu’opère la foi en la résurrection. Durant les funérailles de son fils, le père Michaël est resté à côté du cercueil. A l’issue de la cérémonie, la maman Ivanka a accompagné son enfant mort par une berceuse. Pourquoi une berceuse ? Parce que leur enfant a commencé une nouvelle vie ! Le chant se terminait par un alléluia. Et pourquoi j’en parle maintenant ? Pas pour dire que nous avons été en Ukraine. Ni non plus parce qu’il est si émouvant qu’une maman chante pour son enfant durant son enterrement. Mais parce que nous avons vu une famille entière qui vit de la foi en la résurrection. Ne ressentent-ils pas de la souffrance ? Mais si, bien sûr. La maman, une artiste, a montré ses dessins et peintures d’avant et d’après la mort de son fils. C’était poignant. Oui, la souffrance est bien là. Mais aussi l’espérance. Nous avons passé une soirée extraordinaire, avec beaucoup de joie et même de l’humour. La résurrection soude cette famille, comme elle doit souder nos familles et aussi nos communautés de vie. Nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts. Et nous sommes appelés à le faire par toute notre vie. Et nous devons le faire aussi comme communauté. Pas seulement en répétant une formule, mais par toute notre vie. Je vous assure qu’une telle proclamation change le monde. Que nous soyons jeunes ou âgés, pauvres ou riches, fort instruits ou plus limités… Dieu qui est amour parle en chacun et chacune. Il le fait dans toutes les circonstances.

Allons à l’évangile. La première phrase prend encore plus de sens après ce que nous venons de dire : « Avant de passer de ce monde à son Père, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ».
Maintenant je veux me concentrer sur une phrase qui vient un peu plus loin : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. » Il ne s’agit évidemment pas d’une maison en pierre. A sa façon, une communauté monastique veut être la maison du Père. N’est-elle pas une église en petit ? Une « ecclesiola », comme aimaient le dire nos pères fondateurs. Elle est pour ainsi dire et à sa façon la « maisonnée du Père ». Et dans cette maison, il y a aussi de la diversité. L’appel à l’unité n’est pas un appel à l’uniformité, mais à une unité dans la diversité. Chaque frère a sa propre histoire, aussi bien celle qu’il apporte du fait de son passé ou du fait de sa culture que celle qu’il est appelé à vivre par sa place dans la communauté. Comment vivre cette unité ? Comment le père abbé peut-il la favoriser, tout en tenant compte de la personnalité de chacun ? Bien sûr en vivant la Règle de saint Benoît. Mais cette Règle est-elle autre chose qu’une façon de suivre l’évangile et Jésus lui-même ? « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. » Jésus parle d’un futur : « vous connaîtrez mon Père ». Mais Il parle aussi dans le présent : « Je suis le Chemin (…) Vous me connaissez ». C’est la résurrection en acte, dès maintenant. C’est pour nous, maintenant, que Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. La maison du Père a – maintenant déjà – de nombreuses demeures, dans lesquelles chacun des frères devrait pouvoir trouver sa place, tout comme notre vie monastique trouve aussi sa demeure dans la grande maison de l’Eglise universelle.

Je dirais que vivre la vie communautaire de cette façon n’est pas affaire seulement humaine, dans le sens que nous l’inventerions par nous-mêmes, à partir de nous-mêmes, nous appuyant sur nos seules forces humaines. C’est une question de foi. Le reproche que Jésus adresse à Philippe est d’ailleurs uniquement celui-ci : « Tu ne me connais donc pas, Philippe ? Tu ne crois pas… ? » Connaître Jésus. Faire de la foi pascale une expérience et pas seulement une connaissance livresque, c’est cela la vie monastique, selon saint Bernard.

Beaucoup de personnes ont la nostalgie du passé. Certains chrétiens regrettent que l’Eglise n’a plus la même pertinence dans la société d’aujourd’hui, parce qu’elle a perdu son pouvoir et son prestige. Et même l’image qu’avaient les gens de la vie religieuse – celle qu’on appelait « la vie parfaite » – appartient au passé. Mais n’est-ce pas le moment favorable pour redécouvrir le fondement de tout ? Ne devrions-nous pas dire : heureuse perte qui nous ramène à l’essentiel de la foi ? C’est à nouveau la foi en la résurrection et en Jésus, chemin de vérité et de vie ? Heureuse pauvreté qui nous oblige à boire à la source, la seule. Ce que cela apportera à l’Eglise et au monde ne doit pas être notre préoccupation. Du moment que chacun est ce qu’il doit être et fait ce qu’il doit faire, là où il doit l’être et le faire. Ce lieu peut être la paroisse, la famille ou notre communauté de vie. Du moment que nous soyons là où le bon plaisir du Père nous met pour nous ressusciter déjà maintenant et donner vie à notre monde. Cher frère Bernard-Marie, chers frères, notre prière et celle de toute l’Eglise vous accompagne.

Veuillez consulter voir quelques photos dans la rubrique « Diaporama », « Bénédiction Abbatiale de Dom Bernard-Marie »

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