Solennité de Saint Bernard

Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche

Lorsque Saint Bernard commence ses sermons sur le Cantique des Cantiques, il expliquer d’abord à ses moines le sens du titre de ce Livre Saint. 

Il n’est pas indifférent – nous dit Saint Bernard – que le titre soit « Cantique des Cantiques ».  J’ai lu bien des cantiques dans l’Écriture… Déborah, Judith, la mère de Samuel, des prophètes ont chanté, inspiré par un bienfait reçu, une victoire remportée, louant Dieu et le remerciant.  Mais le roi Salomon, sage entre les sages, parvenu au faîte de la gloire et de l’opulence, régnant en paix, n’a manqué de rien : aucun désir comblé n’a pu l’inciter au cantique de gratitude… (S.Ct 1,7)

Salomon, dans le Cantique des Cantiques, chante la gloire de Dieu pour sa gloire, gratuitement.  Il n’a rien à demander, il n’a pas spécialement à rendre grâce pour tel ou tel don reçu.  Non, simplement, il chante la louange de Dieu parce que Dieu est Dieu et que l’homme est l’homme.  Pour les moines, que ce soit du temps de Saint Bernard ou de tous les temps, donc pour nous aujourd’hui, nous sommes invités à chanter la louange de Dieu parce qu’Il est Dieu, et non en action de grâces pour tel ou tel bienfait reçu. 

Saint Bernard commente longuement le premier verset du Cantique : Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche.  Phrase énigmatique s’il en est.  Qui parle, à qui parle-t-il, de qui parle-t-il ?  Saint Bernard répond :

Seul celui qui a reçu de la bouche du Christ, ne fût-ce qu’une fois, le baiser spirituel, peut désirer vraiment ce qu’il connaît d’expérience et en souhaiter le renouvellement.  Je suis convaincu qu’on ne sait de quoi il s’agit si on n’y a déjà goûté.  Car c’est une manne très secrète, et pour en être affamé, il faut la connaître.   (S.Ct 3,1)

C’est donc le moine qui parle, qui parle à d’autres moines, qui parle du Christ.  Il s’agit de la relation, dans la prière, la contemplation, l’adoration… Il s’agit de la relation entre l’homme et Dieu, entre l’homme et l’Homme-Dieu Jésus-Christ.  La relation amoureuse de Jésus qui nous invite à l’aimer comme Il nous aime.  C’est l’expérience spirituelle à laquelle Saint Bernard invite ses moines, à la suite de l’auteur du Livre du Cantique.  Nous n’y avons pas nécessairement tous part durant notre vie terrestre, notre vie de prière, notre vie monastique.  Mais tous nous y aurons part lorsque Dieu nous rappellera auprès de Lui dans son Royaume. 

Telle est la « spiritualité cistercienne » à laquelle Saint Bernard nous invite.  Il n’est pas le premier, pas le seul, et nombre d’auteurs cisterciens après lui ont à leur tour essayé de partager quelque chose de leur propre expérience.   Cette expérience que l’un ou l’autre moine peut recevoir de Dieu, il ne la reçoit pas pour lui-même, pour lui tout seul.  Nous sommes tous solidaires, membres de l’unique Église du Christ.  Les grâces reçues par l’un profitent à tous les autres.  C’est pourquoi Saint Bernard, toujours dans les premiers sermons sur le Cantique, affirme :
Il (Salomon) a donc obéi à une inspiration toute divine, chantant les louanges du Christ et de l’Église, les douceurs de leur saint amour, le sacrement de leur mariage éternel…    (S.Ct 1,8)

Salomon aurait eu du mal à reconnaître son inspiration divine, chantant les louanges du Christ et de l’Église.  Mais Bernard peut, avec toute la Tradition, affirmer que les textes de l’Ancien Testament sont prémonitoires de la venue en notre monde de Jésus-Christ et de la fondation par Lui de son Église.  La lecture du Cantique des Cantiques n’est donc pas seulement le chant d’amour de l’homme envers une femme, de l’homme envers son Dieu, du moine envers son Dieu…  Mais également, et peut-être surtout, le chant d’amour de l’Église envers le Seigneur Jésus-Christ. 

Cela donne une autre densité à l’extrait du Cantique que nous avons entendu en première lecture :
Que mon nom soit gravé dans ton cœur, qu’il soit marqué sur ton bras.
Car l’amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l’abîme.
Ses flammes sont des flammes brûlantes, c’est un feu divin !

En cette fête de Saint Bernard nous pouvons nous souhaiter de recevoir de Dieu la grâce de cette intimité amoureuse avec Jésus.  Que la participation à l’eucharistie de fête ouvre notre cœur à ce plus grand amour.  En prélude à la grande rencontre au ciel où l’amour de Dieu sera tout en tous.  Alors, oui, nous pourrons vraiment vivre cette parole du Cantique :

Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. 
Amen.

Frère Bernard-Marie

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