Homélie pour les funérailles de Frère Louis

Ceci est moins une homélie qu’un au-revoir à notre frère Louis au moment de le confier à la terre comme un sein, pour y mûrir, dans l’attente de la résurrection des corps pour une vie nouvelle et bienheureuse.

HEUREUX ! mot magique

C’est l’aspiration profonde au cœur de l’homme ; ce fut ta quête, frère Louis en la voie monastique où tu signas, en 1947, ta volonté d’être à la suite de Jésus, toute ta vie.

Les Béatitudes de Jésus viennent comme en réponse à ce désir
Elles voudraient combler mais pas seulement à mesure humaine,
pas à l’aune de nos possibilités, pas dans l’espace de nos horizons bornés,
pas dans le temps limité de nos vies

Les Béatitudes de Jésus sont d’un autre ordre ;
elles sont pour une allégresse qu’il promet d’éternité.
Et ce bonheur qui ne finit pas auprès de lui n’est pas celui de la richesse, du pouvoir d’une table bien garnie ou du ne rien faire, que sais-je encore ?
Heureux, dit Jésus et il entonne ce chant nouveau :   les Béatitudes !

Chant si déroutant, si dérangeant pour les uns, si consolant pour d’autres ;
c’est le chant de Dieu comme une mélopée, égrenant nos misères, nos faims,
nos pleurs et nos rages, nos déceptions et nos aveuglements,
nos blessures de corps et de cœur

Heureux, dit Jésus, et toutes les valeurs sont alors, avec lui, en l’envers,
en paradoxes, en coïncidences des opposés :
Bonheur, joie, cette « belle étincelle divine » 
Joie, donc, de qui pleure
Joie des éplorés
Joie de ceux qui sont à bout de souffle
Joie de ceux qui ont faim
Bonheur, mais à la façon de Jésus, paradoxale !

Ce paradoxe de l’exister chrétien, s’illustre en ta vie, frères Louis.
J’écarquille les yeux, et je te vois ainsi immobile, toi qui fus super actif ;
tel, je t’ai connu à la fromagerie, puis à Maromby durant une dizaine d’années, puis tu partis te dévouer à Midelt où tu te voulus sur les traces de nos frères de Tibhirine.

Certes il vrai que depuis quelque temps, le Seigneur tout doucement, pas à pas, te préparait à sa rencontre ; tout doucement
mais aussi durement car il n’est pas en la vie monastique de s’assurer une mort agréable, pas question d’euthanasie, ‘ anesthésie du désir de vivre ‘ (Forthomme);
mais il s’agit d’assumer nos limites, notre être-pour-la-mort (en 1 seul mot), ce qui est notre condition inéluctable, notre vocation depuis que Dieu nous fit aux Origines.

« Aime ton Créateur et prépares-toi à l’épreuve » conseille saint Athanase.
Ainsi, pour toi, ce fut d’abord la mise à la retraite comme directeur de la fromagerie, ce que tu acceptas difficilement, puis, après un certain temps, les difficultés à marcher, même si tu cherchais encore, rageur de ne pas le pouvoir, rejoindre ta fromagerie ; puis il te fallut accepter d’être voituré, puis servi au réfectoire, puis alité, confiné en chambre, enfin t’abandonner aux soins en Ephad ; quelle conscience alors ? Tu semblais perdu, soudain tu tendais la main, nos regards se croisaient, une fraction de silence, et

« les yeux de celui qui s’en va restent

                                                         dans les yeux de celui qui reste ; »    (in N. Sachs)

Plus de mots, effleurement de présence intense.

Et te voilà enfin en repos, immobile ; mais non, que dis-je ?
Te voilà en repos certes physiquement mais l’éternité c’est bien autre chose !
Tu le comprends maintenant mieux que moi.
« Tes yeux éteints sont désormais voyants » (N. Sach)

« ta vie n’est pas détruite mais transformée » ;
tu n’es pas mort mais entré dans la  vie ;
Tu comprends que la mort est un peu comme ‘’ un cadeau de Dieu,
elle abrège nos maux,  « elle est délivrance ; elle s’affiche comme finitude et nous éveille au désir d’éternité ».       (Forthomme)

Et voilà ton passage accompli avec notre sœur la mort.
Dieu te redonne ainsi à toi-même ; tu sais maintenant ce caillou blanc, ce nom, qui depuis toujours, était le tien dans le mystère de son élection.
Et tu découvres Dieu comme mystère, incompréhensible, inconnaissable,
ouvert à l’infini,
‘’ infini que nul coureur n’atteindra jamais ‘’ nous prévient saint Grégoire de Nysse.

Quête sans fin, à toi offerte aujourd’hui !
Voilà donc le vrai repos en Dieu ! Voilà de quoi combler ta nature profonde, qui n’était pas tellement besoin de faire, agitation ;

Tu pressentais une autre vie, autre que celle bornée aux tâches quotidiennes, mais celle de l’homme intérieur, celle aux profondeurs de Dieu si bien évoquée par saint Paul, à l’instant.

Voici donc, pour toi le bonheur en Dieu, quête sans fin, non dans la soif ou le manque mais dans une plénitude toujours comblée en dépassement d’elle-même sans fin, heureuse, béatifiant !!

Paradoxe du bonheur à la suite de Jésus que ton passage accomplit.
Hier, avant de te conduire dans cette l’église  
pour ce dernier Office de la longue série qui dura quelques 73 ans, nous avons chanté que les saints et les anges viennent t’accueillir
et te conduire dans les demeures du ciel, là où Jésus t’attend ;
Alors, frère Louis, avec tous ces saints et ces anges, va, vole

                              (pour reprendre une chanson bien connue : (Goldmann / Dion)

Vole, que rien ne te retienne plus
Vole, rejoins le ciel, laisse la terre
rejoins le Mont des Cats des Ciels, nos frères qui t’ont précédé
Quitte ton manteau de misère, change d’univers
Vole Vole
quitte ton corps et qu’enfin ta souffrance cesse
Va rejoindre l’autre rive celle que tu voulais tant
Vole Vole
va ton dernier voyage, laisse tes heures épuisées
Deviens souffle, sois colombe
quitte ta peau de misère
va, retrouve la lumière » 
Ton Jésus

                     Tu as de quoi faire :  l’essentiel, la meilleure part enfin,

                     maintenant et pour toujours !

Frère Daniel

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