Lectures : Éphésiens 4,1-6 ; Psaume 84 ; Jean 20,19-23.
Ce sont deux absents présents qui s’expriment dans ces deux lectures que nous venons d’entendre. Ils ne sont pas absents de la même manière : Jésus était donné pour mort la veille, et les disciples n’en reviennent pas de le voir, tandis que Paul est retenu dans une prison et ne peut se rendre auprès de ceux auxquels il écrit.
Et ils ne sont pas présents de la même manière : Jésus est le Ressuscité, présence véritable et même palpable, mais d’un autre genre, inaugurant une relation mystérieuse avec tous, tandis que Paul se rend présent, de façon traditionnelle, par une lettre qui nous atteint, nous aussi aujourd’hui.
Et les messages que délivrent ces deux passages semblent de consignes, voire des mises en garde. Aux Éphésiens, Paul recommande l’humilité, la douceur, la patience, la capacité de se supporter mutuellement en communauté, et par-dessus tout l’unité qui est un don de l’Esprit Saint, et la paix dans la foi, l’espérance et la charité du Christ. Paul est déjà averti, par l’expérience qu’il a des communautés chrétiennes, que la désunion, la jalousie, la domination qui sont à l’œuvre partout dans le monde n’épargnent pas, loin de là, ces communautés qui sont pourtant porteuses de l’espérance évangélique de la paix.
La visite de Jésus Ressuscité à ses disciples porte un message plus fort encore : il est une invitation à la paix aussi, par le moyen du pardon dont il fait une arme à notre usage. Mais Jésus, pour le dire, s’est posté au milieu d’une communauté qui avait peur : peur de son environnement, peur de son avenir. Et, Jésus vient, alors que les portes sont fermées, pour chasser la peur de vivre, la peur de témoigner, la peur de s’engager, la peur de tenir tout simplement sa place de témoin dans le monde.
Et voici pourquoi nous sommes faits aujourd’hui ; voici pourquoi vous êtes, mes frères, une communauté monastique en ce lieu ; voici pourquoi vous êtes choisi, Dom Jacques, comme Abbé de ce monastère. Dans la Règle sous laquelle vous vous êtes placé, votre Père Saint Benoît vous invite à lutter contre la peur qui envahit les existences, la nôtre, la vôtre, et celle des hommes et des femmes de tous les temps. Cette règle que vous méditez est ici traduite dans la liturgie de cette bénédiction, dans le dialogue que nous aurons tous les deux, Jacques et moi-même, dans un instant, et dans la grande prière que je prononcerai sur vous au nom de toute l’Église.
Le dialogue vous invite à rester fidèle à votre vocation monastique, à inciter vos frères à faire de même, à les instruire, à les conduire, et même à veiller sur les biens du monastère pour qu’ils soient utiles aux frères, aux pauvres et aux hôtes, et tout ceci dans la fidélité à l’Église.
Quant à la prière de bénédiction, elle vous invite à faire preuve de miséricorde, de courage pour reprendre ceux qui faiblissent ou dévient, d’attention aux faibles et aux malades, d’encouragement, et d’accueil de l’avis de frères, préludant au nécessaire discernement des choix à faire.
C’est ainsi que vous lutterez avec vos frères, et au bénéfice de l’Église tout entière qui a besoin de voir les promesses du Seigneur à l’œuvre en elle, contre la peur et contre l’esprit de la désunion. Chacun sait que cela menace notre vie, notre foi, nos communautés et notre Église tout entière.
Nous avons peur parce que nous sommes devenus un petit peuple, et nous croyons souvent n’avoir plus rien à dire au milieu du brouhaha des voix discordantes, au cœur des combats qui font rage pour la puissance, et dans le désarroi des pauvretés et des malheurs qui assaillent notre monde. Des hommes innombrables (oserais-je dire : des hommes et des dieux ?)luttent contre le malheur et l’injustice, d’autres soutiennent la fidélité aux tâches quotidiennes de millions de vies ordinaires. Vous qui avez consacré vos existences à l’écoute de la Parole de Dieu pour les hommes, vous êtes des remparts contre la peur, et des lutteurs contre la désunion.
Jacques, que l’Esprit du Seigneur vous saisisse à nouveau aujourd’hui et renouvelle en vous la fidélité à votre engagement monastique, pour ce nouveau service qui vous est demandé.