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Ex 22, 20-26; 1 Thes 1, 5c-10; Mt 22, 34-40.
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Combien de sang versé, combien de crimes perpétrés, combien de larmes répandues, combien de condamnations sans appels prononcées et de haines dévastatrices allumées au nom de l’amour de Dieu? Depuis des millénaires, sur tous les continents, ces questions hantent l’histoire de l’humanité, et ne cessent de se poser, à chaque génération. Combien d’hommes, de femmes et d’enfants innocents ont payé de leur vie cette prétendue défense des droits de Dieu? Mais combien de crimes, tout aussi abominables, n’a-t-on pas également commis, sous prétexte de libérer l’homme et de le rendre autonome et responsable de son destin? Le siècle, qui vient de s’achever, nous en a offert le triste et douloureux témoignage.
C’est pourtant dans ce contexte de violences et de haines, en conservant à l’esprit les gémissements et les pleurs de tant de victimes, qu’il nous faut de nouveau écouter la réponse de Jésus à ceux qui voulaient le mettre à l’épreuve. Car tel est bien le drame de Jésus, le messager de l’amour du Père. Depuis des siècles, son message d’amour et de miséricorde, de pardon et de bonté, ne passe pas. Il demeure d’une brûlante actualité, non seulement sur la scène du monde qui nous entoure, mais aussi et surtout dans notre Eglise, dans nos familles, dans nos communautés, et, par dessus tout, dans notre propre coeur. Partout, il se heurte à l’incompréhension, à la haine, au mépris, et au déni.
Cet échec de Jésus traverse, comme une brûlante cicatrice, notre propre histoire personnelle. Combien de fois n’avons-nous pas eu l’impression de devoir choisir entre le respect de Dieu et l’amour de nos semblables, comme si Dieu se posait en rival ou en ennemi des hommes? Mais cet échec est-il vraiment celui de Jésus? N’est-il pas plutôt le nôtre? Pourquoi avons-nous tant de mal à concilier ce qui semble si naturel pour Jésus Lui-même? Pourquoi sommes-nous incapables de tout donner, comme Lui, à Dieu et aux hommes?
Cette apparente opposition, que recouvre-t-elle vraiment? Qu’est-ce qui se cache vraiment derrière ce faux dilemme? La réponse, l’Ecriture nous la donne pourtant déjà dans un texte très ancien, bien antérieur aux Evangiles. Nous en avons entendu quelques extraits dans la première lecture tirée du livre de l’Exode. Dans ce passage, Moïse tire le voile de mensonge que nous posons sur nos véritables motivations. La cupidité, la recherche du profit à tout prix, la quête du plaisir égoïste, l’accumulation sans mesure au détriment d’autrui, en sont les symptômes les plus évidents, les signes les plus courants.
Derrière tant de discours qui se posent en défenseurs des droits de Dieu contre l’homme, ou de la liberté de l’homme contre Dieu, reconnaissons-le, il y a surtout une manière subtile et détournée de protéger nos propres privilèges de caste, comme ces pharisiens et ces docteurs de la Loi dans les Evangiles, ou de réduire le monde à la satisfaction de nos désirs et de nos égoïsmes. Ce qui se cache derrière tout cela n’a rien à voir avec la gloire de Dieu ou le bonheur de l’humanité. Il s’agit uniquement de notre petit moi cupide et recroquevillé sur lui-même.
Ce que pointe Jésus, en dénonçant le faux problème des droits de Dieu et de la liberté de l’homme, c’est notre incapacité à sortir du cercle vicieux de notre moi, notre incapacité à aimer. En ramenant tout à nous-mêmes, nous nous détruisons nous-mêmes. Nous anéantissons toute espérance, toute vie. Nous fermons la porte à Dieu et aux autres. L’amour véritable de Dieu, quand il n’est pas l’otage de nos intérêts, est la porte royale qui nous ouvre le coeur de nos frères. Et le regard miséricordieux et plein de bonté que nous posons sur nos semblables est le gage le plus sûr et le plus authentique que nous sommes proches, tout proches, infiniment proches de Dieu.