Cette nuit, ce matin, court sur les montagnes ce messager qui annonce la paix. « Le jour se lève / Et l’on entend / L’ange qui court à travers champs ». Il parle de « bonne nouvelle » : une bonne nouvelle non pour un jour, mais pour toujours. Pour toujours, car c’est à Dieu qu’il est arrivé quelque chose, et par là à nous.
Ce messager ne présente pas de banals souhaits de paix. La paix qu’il annonce est quelque chose d’énorme, quasiment d’irréel pour ceux qui l’entendent. Tellement l’homme de Jérusalem et sa ville sont en ruines. C’est dévastation, misère, atrocités sans nombre, une détresse immense. Or, le cri de ce messager, c’est la fin de tout cela, la fin de cet enfer. Qui l’entend croit rêver, et il se sent d’un coup léger comme jamais ; il se sent n’être plus lui aussi qu’un seul cri de joie.
Ce messager passera-t-il loin de chez nous, parce que nous ne sommes pas concernés ? C’est vrai que dans nos régions, il n’y a pas beaucoup de villes en ruines, alors qu’il y en a tant ailleurs. Mais il n’y a pas que les constructions de briques, de pierres, de bois, qui tombent en ruines. Il en est bien d’autres. La vie sociale de nos cités n’est pas une ruine, mais elle est, pour le moins, un vaste chantier. Et qu’en est-il de nous-mêmes ? Généralement, nous ne nous prenons pas pour une ruine, et cela vaut mieux ainsi. Cependant, bien en arrière de nos façades et même de nos éventuelles ruines visibles, il existe toute une zone qui ne se fait pas voir ; tapie dans le noir, elle peut être bien agissante. Des monceaux de n’importe quoi qui nous enferment comme l’israélite dans la ville de Jérusalem, qui nous blessent et nous mettent à mal. Des poids, des misères, des tristesses sans fond, des coups reçus, des culpabilités invincibles… L’homme étouffe sous les ruines, et les peuples entiers avec lui.
Or, voilà qu’une nouvelle incroyable éclate à nos oreilles. Si incroyable qu’elle semble venir d’on ne sait où. Elle va à travers tout : elle vole sur les montagnes, elle court à travers champs.
Une espérance immense, infinie, s’ouvre d’un coup. Elle dépasse de loin nos derniers espoirs encore en vie et tous ceux partis en ruines. Elle est bonne plus que tout au monde. Elle est bonne pour tous au monde. Une paix qui subjugue tout parce que toute sa puissance, sa force, sa fidélité ne sont faites que de bonté, de grâce, de respect et de bienveillance.
Cette espérance est invincible car elle ne sort pas de nos mains. Dieu l’a semée dans notre terre, dans notre chair, dans le cœur d’une femme, Marie. Et cette semence, cet homme qui naît aujourd’hui, c’est Dieu lui-même. Dieu lui-même se montrant tel qu’il est. Il démasque nos ruines, nos manques et nos blessures, il les perd en lui-même. Il connaît notre cœur. Il y naît aujourd’hui.
Sinon, comment serions-nous jamais enfants, vrais filles et fils de Dieu ? Tous, nous avons part à sa plénitude ; la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ n’a pas de limite : aucune ruine ne la diminue. Les ruines elles-mêmes, toutes les vieilleries, deviennent cri de joie : elles crient le message.
La paix de Dieu surgit dans notre terre. Elle remplit le cœur, « comme les eaux recouvrent le fond de la mer ».
Père Abbé