Huitième Dimanche du Temps Ordinaire, Année B

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Os 2, 16-22; 2 Co 3, 1b-6; Mc 2, 18-22.

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Lors d’une rencontre récente avec un groupe d’abbesses et d’abbés de notre Ordre, le père Abbé Général soulignait, non sans humour, que les visiteurs de nos communautés évoquaient souvent, dans leurs cartes de visite, le manque de silence, d’assiduité à la prière, ou encore les problèmes de relations fraternelles, mais jamais le jeûne! Et il en concluait, un brin sceptique, que le jeûne, aujourd’hui, ne posait plus problème!

D’ailleurs, l’évangile de ce jour semble confirmer, à première vue, cette idée que le jeûne serait dépassé, qu’il n’aurait plus vraiment sa place, dans notre vie. En effet, Jésus ne le compare-t-il pas à un vêtement usagé ou à une outre trop vieille pour contenir le vin nouveau de Son message?

Pourtant, dans bien d’autres passages des évangiles, le jeûne a une place importante. Ainsi, lorsqu’il s’enfonce dans le désert, après le baptême de Jean, Jésus laisse-t-il le jeûne et la prière creuser son être d’homme, durant quarante jours ? Ou encore, après la Transfiguration, Jésus déclare à ses disciples perplexes, que certains esprits mauvais ne peuvent être chassés que « par la prière et le jeûne »? Ainsi, serions-nous bien en peine de prouver que, dans les évangiles, le jeûne est désormais devenu une pratique obsolète et dépassée, tout juste bonne pour garder la ligne.

Cependant, lorsque Jésus recommande à ses disciples de jeûner, il sort du cadre habituel des prescriptions religieuses, de ces codes qui semblent reprendre tant de vigueur à notre époque. Le jeûne préconisé par Jésus n’a rien à voir avec le ramadan, les interdits alimentaires de l’Islam ou du Judaïsme, ou encore les pratiques extrêmes des ascètes de l’Inde. En effet, Jésus invite ses disciples à fuir toute ostentation, à pratiquer leur jeûne dans le secret, en se parfumant la tête. Dans le jeûne, le disciple de Jésus ne cherche donc ni à marquer son appartenance à un groupe religieux, ni à éprouver ses propres limites. Il n’y a plus rien à montrer, rien à prouver, ni devant les autres, ni pour soi-même.

En fait, dans l’évangile de ce jour, Jésus met la pratique du jeûne par  ses disciples en relation avec  sa propre présence: « tant qu’ils ont l’Epoux avec eux, ils ne peuvent jeûner; mais un temps viendra où l’Epoux leur sera enlevé: ce jour-là ils jeûneront »! Le jeûne est donc mystérieusement lié à la présence et à l’absence de Jésus, à l’expérience d’un vide qui creuse l’existence des disciples. Il ne s’agit plus d’une pratique dont nous pourrions nous prévaloir, pour nous poser en hommes religieux. Avec Jésus, le jeûne a changé de registre.

Aux yeux de Jésus, le jeûne, c’est l’expérience particulière que fait tout disciple, qui se réjouit de la joie de l’Epoux,  qui est devenu l’ami de l’Epoux.  Le jeûne, c’est le goût de l’absence d’un ami, de Jésus, que rien ni personne ne peut remplacer. En situant le jeûne dans le registre de l’amitié et de l’amour, Jésus vient en fait toucher aux réalités humaines les plus profondes et les plus secrètes. La nourriture, comme tant d’autres choses, n’est-elle pas, bien souvent, pour nous, une façon de compenser un manque, de combler un vide, de masquer une blessure? Alors que le jeûne, au contraire, ravive la mémoire de cette absence!

Seul celui qui espère la guérison, peut dévoiler sa blessure, laisser apparaître son manque. Seul l’ami de l’Epoux, celui qui veille et attend son retour, peut accueillir, comme une grâce, ce creux de l’absence. Ainsi, le jeûne est-il devenu,  avec Jésus, un acte d’espérance, un geste d’amour, une profession de foi, l’acte libre d’un être qui aspire à devenir libre pour aimer.

 

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