Ce n’est pas seulement une fois, mais à plusieurs reprises, que , durant sa très longue existence, notre Père Firmin a dû, lui aussi, faire son baluchon pour partir dans un pays lointain, comme le peuple d’Israël à l’invitation du roi Cyrus, des siècles plus tôt. Il y eut des départs enthousiastes, comme celui qui l’amena au Mont des Cats en 1946 ou celui qui le conduisit à Madagascar en 1958, comme premier supérieur de la fondation de Maromby.
Mais il y en eut aussi d’autres plus douloureux et moins glorieux, comme son retour au Mont des Cats, en 1972, après des années de service comme supérieur. Il en parlait d’ailleurs souvent, des années plus tard, avec l’impétuosité et la rudesse du converti qui a trouvé, dans sa traversée du désert, une raison de plus d’espérer en Celui qui l’a appelé par son nom. Car Père Firmin, tout au long de son existence, est resté un jeune converti. Même à 92 ans, alors que les infirmités le clouaient sur son lit à l’infirmerie, il trouvait encore des accents passionnés pour raconter cette épreuve qui fut aussi sa grâce.
Car loin de l’écraser ou de l’aigrir, cette épreuve qui lui valut ce retour en métropole, fut plutôt pour lui comme un nouveau départ, un second noviciat, dont il garda la ferveur et parfois même aussi la verdeur jusqu’au bout. Le Seigneur le préparait ainsi à une autre mission, tout aussi aventureuse, celle de toucher le coeur des hommes et des femmes de notre temps.
C’est dans son bureau, à l’hôtellerie, que j’ai eu l’occasion de le rencontrer pour la première fois, lorsque, jeune aspirant à la vie monastique, j’ai franchi avec crainte et tremblement la porte de ce monastère. Père Firmin ne s’embarrassait pas de détails, surtout trop pieux. Il voulait, en quelques mots, rejoindre ce qu’il y avait de plus humain et de plus fragile, de plus fort et de plus précieux, en chacun d’entre nous. Sa parole tombait alors comme un glaive à deux tranchants! Longtemps après cette première rencontre, ses paroles ont encore résonné à mes oreilles.
Ce sens de la formule, ce goût de l’autre, cette patiente impatience ne pouvaient guère être tenus sous un couvercle ou au-dessous du lit. Peu à peu, pour beaucoup d’hôtes du monastère, et aussi pour bon nombre de frères en communauté, Père Firmin est devenu comme cette lampe dont parlait Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre. Sous ses airs bourrus et parfois un peu sévères, il a su séduire une foule de disciples qui appréciaient cette parole sans concessions, mais pleine d’amour et aussi d’humour.
L’amour, c’est sans doute l’unique secret qui explique que cette personnalité hors normes ait pu non seulement vivre et grandir dans un lieu aussi resserré qu’un monastère, mais qu’il ait pu aussi aider tant de frères à y vivre et à y grandir, en tirant profit de tout ce qui leur arrivait. Il savait profiter de tout pour avancer, et il savait aussi l’enseigner aux autres. Père Firmin n’aimait pas regarder en arrière, sinon pour y reconnaître comment Dieu avait travaillé sa vie, souvent à son insu.
De cette vigueur, de cette force, de cette énergie, de ce courage dans l’épreuve, de cette humeur joyeuse qui se jouait des apparences et des contradictions, nous avons tous bien besoin, aujourd’hui plus que jamais. Demandons à Père Firmin de nous partager un peu de ces dons que le Seigneur lui avait largement dispensés. Demandons-lui de continuer à prier pour nous, maintenant qu’il voit face à face Celui qu’Il aimait, plus que lui-même!