Funérailles de Dom André Louf

(1ère Lect : Ro 5, 5b-11,             Evangile : Mt 11, 25-30)

« Venez à moi… » Cette parole, le Seigneur vient de la dire d’une manière dernière à son serviteur D. André. C’est tout au long de sa vie qu’elle a retenti pour lui. Et, dans le fond, c’est cette parole, cette douce invitation que D. André s’est efforcé, aussi tout au long de sa vie, de faire résonner à nos oreilles de chair et aux oreilles de notre cœur. Et si nous sommes là aujourd’hui autour de lui, c’est que, pour beaucoup d’entre nous, sa parole et sa présence ont éclairé le chemin, ont indiqué de manière inoubliable le point de lumière qui ne s’éteint pas : la Lumière tout court, le Seigneur Jésus.

Certes, le passage d’Evangile lu à l’instant dit ceci : « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». Et D. André n’était pas un « tout-petit » selon les critères du monde ; c’était bien un homme plus que doué, un vrai « savant ». Il connaissait bien des langues, une quinzaine, m’a-t-on dit ; et exception faite de la technique, tout l’intéressait : le droit –c’était de famille -, l’art, et tant d’autres domaines, jusqu’à la politique. Des connaissances pas seulement stockées, mais vraiment maîtrisées, et dont il savait rendre compte dans un langage simple et limpide, à la portée de tous. Et ce fut évidemment particulièrement vrai pour tout ce qui était du domaine de l’expérience spirituelle.

On peut dire que toute sa vie, D. André a cherché le « repos », ce « repos » promis par Jésus : « Venez à moi (…), et moi je vous procurerai le repos ». Le « repos » est un des mots privilégiés, dans le monachisme oriental ancien, pour désigner le but de la quête du moine.

Ce « repos », il en a découvert le lieu pour lui    en entrant, il y a plus de 60 ans, dans cette abbaye trappiste du Mont des Cats. Puis il l’a cherché passionnément, de cœur mais aussi de tête, par des travaux, des lectures innombrables. N’est-ce pas aussi ce qui le guidait dans tout son intérêt pour la musique, le chant grégorien en particulier, et pour les icônes et la peinture religieuse occidentale, et en particulier celle issue de nos terres du Nord ? Quête du « repos » de la beauté, beauté reflet de la toute Beauté de Dieu.

Quand il a accepté la charge de Père Abbé, je ne sais s’il a cherché le « repos »… En tout cas, il ne l’a pas trouvé si l’on en juge d’après toute l’activité qu’il a déployée au sein de la communauté et au sein de l’Ordre. Mais il se serait à coup sûr étouffé si le « vrai repos » ne l’avait toujours attiré plus que tout           et ne l’avait aussi effleuré aux heures décidées par le Seigneur. Et c’est Lui qui l’a conduit à une vie d’ermite, lointain écho de son désir et de sa demande, 25 ans plus tôt, d’entrer en Chartreuse.

C’est bien vers la source, la personne du Christ Jésus qu’il tendait et c’est à lui qu’il nous a conduit. C’est à lui que D. André s’est remis dans les toutes dernières paroles de son si bref passage à Dieu : « Christus…Christus…Christus… » , a-t-il dit plusieurs fois. L’enjeu de toute une vie condensé en une parole, en un seul mot,           ultime reprise de la prière sans cesse répétée,            dernier résumé d’un cœur qui se donne.

« Venez à moi, (…) car je suis doux et humble de cœur ». Ce que D. André pressentait de Jésus correspondait bien à cette parole de Jésus sur lui-même. Douceur et humilité de cœur qui fait un cœur accueillant, capable d’écouter et, à l’heure propice, de parler,    capable ainsi de conduire à la guérison, à la réconciliation avec soi-même, avec Dieu et avec les frères. Parce que c’est un cœur qui a connu toute notre humanité, qui en a porté toutes les faiblesses et infirmités, a supporté toutes nos fragilités.

C’est l’expérience de S. Paul telle qu’exprimée dans Romains 5 : Jésus est allé jusqu’au bout de l’amour, en acceptant de mourir non pour des justes mais pour des pécheurs, pour des « ennemis ». Voilà la preuve que Dieu nous aime, s’exclame S. Paul. Cette clé de voûte de tout le christianisme a porté toute la vie de D. André, et c’est cette perception qu’il cherchait inlassablement à nous transmettre.

Si je suis ici aujourd’hui, – et bien des frères pourraient en dire autant -, c’est d’avoir eu la grâce d’entendre cette parole de vie. Et beaucoup d’entre nous ont, je crois, fait l’expérience que, dans les grands moments où ils avaient à faire appel à l’essentiel de leur vie, de leur foi, il retrouvait ce socle, ce fondement que vivait et qu’a su exprimer D. André.

Et combien de personnes hors des monastères et venant de tous bords n’ont-elles pas été rejointes dans leur vraie profondeur par sa parole faisant deviner et sentir et comprendre l’humble amour du Seigneur Jésus pour toute personne, tel le Samaritain de la Parabole qui s’approche du gisant ‘demi-mort’ et se dépense pour lui ?

Nos vies y ont découvert une lumière inextinguible, dont nous sommes responsables. Notre réponse est aujourd’hui d’action de grâces, en écho à la jubilation de Jésus lui-même. « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». Oui, Tu l’as révélé à nous tous, pécheurs, ennemis de Dieu, sourds et aveugles de toutes espèces.

Que, dorénavant, au fil des jours, nous joignions notre prière  à celle de ton serviteur disciple de S. Benoît : « Seigneur, je ne suis pas digne, pécheur que je suis, de lever les yeux vers toi qui es au ciel ».

Daigne le Seigneur « conduire D. André en ce ténébreux silence où vont se perdre tous les amants de Dieu », comme le dit le Bienheureux Ruusbroec, qui poursuit par ses mots, les derniers de son œuvre, les « Noces spirituelles » : « Demandons à l’amour divin qu’il nous l’accorde : il ne repousse aucun mendiant ».

 

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