Cinquième Dimanche du T.O., Année B

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Job 7, 1-7; 1 Cor 9, 16-23; Mc 1, 29-39.
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Quel personnage public, homme politique, du monde des affaires, ou même homme d’église, aurait l’idée étrange, aujourd’hui comme hier, de bouder sa notoriété nouvelle, pour se retirer dans un endroit désert, à l’écart? L’étonnement scandalisé des Apôtres est bien aussi le nôtre: « tout le monde te cherche »! Alors pourquoi prendre ainsi une distance, au risque de se voir oublié, délaissé et remplacé par un autre. Les candidats ne manquent pas pour occuper la place. Comme tous les spécialistes en communication, les Apôtres avaient déjà bien compris qu’il valait mieux occuper le devant de la scène, pour que le message puisse avoir quelque chance d’être entendu.
Cette logique, pourtant, Jésus la récuse, par son attitude et par tout son être. Ce qu’il annonce, ce n’est pas lui-même, mais l’amour de son Père pour le monde. Il ne cherche pas à capter l’intérêt ou la sympathie de ceux qui l’entourent. Il ne cherche pas à plaire. Quand il guérit des malades ou soigne des blessures, ce n’est pas pour attirer, pour convaincre, pour s’imposer, mais par amour de ceux qui peinent et qui souffrent. Jésus n’a rien à prouver. Il est venu annoncer la vérité, et la vérité se suffit à elle-même. Elle a sa propre force, sa propre évidence intérieure.
D’autre part, Jésus connaît la fragilité de la parole humaine. Il sait la valeur des promesses qui sont faites pour toujours et ne sont pas tenues. Il a expérimenté la vanité des discours, la puérilité des grandes phrases, le vide des formules belles mais creuses. Il sait notre fragilité, notre légèreté, notre inconséquence. Il connaît le retournement des foules qui brûlent aujourd’hui les idoles qu’hier elles encensaient. Il sait que les mots s’envolent et que seul l’amour demeure.
C’est pourquoi Jésus ne retourne pas en arrière, il ne revient pas sur ses pas. Il va de l’avant, sans s’attarder, sans s’interroger sur l’impact de sa parole, sans mesurer la profondeur du sillon tracé par sa voix. Il sait que Dieu seul peut toucher le coeur de l’homme, et que le bruit des mots n’effleure guère que la surface de notre conscience. Il sait que la Parole de Dieu ne peut porter du fruit que si la terre est prête à l’accueillir. Et cette terre, c’est l’Esprit-Saint qui la retourne et la travaille, en silence, dans le secret.
Alors que ses disciples n’ont pas encore saisi que la Parole de Dieu a sa propre puissance, qu’elle peut abattre des murailles d’indifférence et de haine, qu’elle peut faire se lever des foules de croyants et retourner les coeurs les plus inaccessibles, Jésus, lui, va son chemin. Il continue, sans se retourner. Et s’il s’arrête un instant, ce n’est pas pour faire le point, imaginer des stratégies nouvelles ou calculer des avancées, mais pour prier.
Car c’est là, dans le silence, à l’écart, dans la prière, qu’il puise la force et la douceur, la tendresse et le courage, la patience et la bonté, l’amour et la miséricorde qui façonnent son être et son message. C’est dans la prière, la solitude et le silence, que Jésus est devenu vraiment lui-même. C’est là, dans ce face à face, ce coeur à coeur avec Dieu le Père, son Père, qu’il a reçu sa propre identité de Fils, son être profond, et qu’il nous est aussi devenu infiniment proche.
La prière de Jésus, le silence de Jésus, sont pour nous bien plus que des modèles, des exemples à suivre et à imiter. En priant, Jésus nous dévoile la source de sa parole, de son action: l’amour du Père. C’est dans ce lien profond, secret, infiniment fort, que se révèle son identité, mais aussi ce à quoi nous sommes appelés. Si nous voulons suivre Jésus, si nous voulons devenir, à notre tour fils dans le Fils, nous avons besoin de puiser à cette source pure et limpide, cette source féconde et puissante où Dieu donne vie en se donnant à nous, au plus profond de nous-mêmes.
Comme nous le rappelait Saint Paul, dans la seconde lecture, annoncer l’Evangile est un don, une grâce qui nous est faite. On ne peut transmettre que ce que l’on a reçu! C’est en devenant les intimes de Dieu, ses amis, ses proches, que nous pourrons à notre tour, presque sans nous en rendre compte, laisser rejaillir ce que nous aurons reçu et accueilli dans la prière, pour le monde, ce monde que Dieu aime et pour lequel Il a donné Son propre Fils.
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