Les Béatitudes, Évangile de la Toussaint
Déjà du temps de nos pères cisterciens, l’Évangile lu pour la fête de la Toussaint était celui que nous venons d’entendre. Cela a donné à plusieurs d’entre eux de nous léguer des sermons pour cette fête, sermons qui ont la couleur de la spiritualité qui était celle de Bernard, Guillaume, Guerric et tant d’autres. Pour la méditation de ce jour, je me suis inspiré d’un sermon de Saint Aelred de Rievaulx. Aelred s’adressait aux moines de sa communauté, mais ce qu’il leur dit convient également pour tous les chrétiens qui cherchent Dieu. (Sermon 46 : Pour la fête de tous les Saints)
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Celui qui s’applique à faire la paix en lui-même et à remporter la victoire dans les guerres que lui causent les vices et dans les tentations qui lui viennent du Malin, celui-là a déjà reçu une certaine ressemblance avec le Fils de Dieu. Nous ne pouvons faire la paix et remporter la victoire, que si Celui qui nous a instruits de ce que nous devons faire nous aide aussi à le faire. Grâce à cette paix, tous les saints dont nous célébrons aujourd’hui la fête sont parvenus au sublime état où ils se trouvent. Ils ont conservé cette paix non seulement dans les succès de ce monde, mais aussi, et avec encore plus de ferveur, lorsqu’ils étaient persécutés. C’est pourquoi le Seigneur a ajouté aussitôt cette autre béatitude :
Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice,
car le royaume des Cieux à eux.
Tournons maintenant les yeux vers la béatitude à laquelle les saints sont arrivés en passant par les peines temporelles de cette vie. Dieu a déjà essuyé toute larme de leurs yeux, il n’y aura plus de pleurs ni de cris ni aucune douleur (cf. Ap 21,4). Déjà, ils voient leur roi dans sa beauté (cf. Is 33,17), eux qui ont souffert pour lui, et dans cette vision ils possèdent la parfaite félicité. Suivons donc les exemples des saints : fuyons absolument le repos et ce qui délecte la chair, endurons volontiers pour le Christ les contrariétés et les choses pénibles de cette vie. C’est pourquoi Il dit :
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Purifions ensuite notre cœur et soyons des artisans de paix, afin de ne rien aimer plus que Dieu et le prochain en cette vie, et de pouvoir dès lors monter vers le sommet de la béatitude parfaite qui consiste en la vision de Dieu, comme le dit ensuite notre Seigneur :
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
En effet, la béatitude parfaite, c’est la vision de Dieu ; l’être humain ne peut en aucune manière être heureux avant de parvenir à cette vision. Or, cette béatitude n’est promise qu’aux cœurs purs ; tout notre effort doit donc tendre à cet unique but. Quoi que nous fassions, ne nous estimons jamais parfaits même si par la grâce de Dieu à certains moments fugaces nous pensons avoir vu Dieu.
Rien n’est plus proche de Dieu qu’un cœur pur, absolument rien ne s’intercale entre Dieu et le cœur pur. Cette vision même est connaissance, et cette connaissance même est la suprême félicité. Celui dès lors qui le verra l’aimera, sans aucun doute. Il est en effet si beau à voir, si agréable à entendre, si doux à goûter, si aimable à étreindre que, s’il peut être senti, il ne peut qu’être aimé.
Qu’elle soit donc authentique sur nos lèvres, frères, la louange de tous les saints ! Gardons-nous de les louer de bouche, pour ensuite les bafouer par nos actes ! Nous les louons en vérité si nous nous efforçons de les imiter. De fait, quand nous faisons quelque chose de bon cœur, nous attestons par-là que nous aimons cette chose ; quand bien même nous nous tairions de bouche, nous louons par notre agir. Hâtons-nous, bien-aimés, de jouir de leur très douce compagnie et de contempler avec eux le plus beau des enfants des hommes (cf. Ps 44,3), lui dont la beauté émerveille le soleil et la lune. Que rien n’entrave notre marche, ni les succès de cette vie ni ses contrariétés.
Et, puisque sans le Christ nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,5), prions notre Seigneur afin que, par les mérites de tous ses saints, il veuille nous garder sur ce chemin, nous conduire par sa bonté vers la demeure (cf. Jn 14,2) d’en haut et nous couronner avec eux de l’éternelle félicité. C’est la demande que nous faisons en cette Eucharistie de fête : que nous avancions joyeusement sur notre chemin de vie pour, après notre mort, voir Dieu face à Face et Le louer avec tous les Saints.
Père Bernard-Marie