Qui est le plus grand ?
La semaine dernière, nous avons entendu comment Jésus annonce pour la première fois qu’il sera condamné à mort – le sort réservé à tous les prophètes d’Israël depuis des temps immémoriaux –. Pierre se rebiffe et fait à Jésus de vifs reproches. À quoi Jésus lui répond vertement : Passe derrière moi, Satan !
Lorsque, peu de temps après, Jésus annonce pour la seconde fois qu’il va être condamné à mort, les disciples ne répondent pas, de peur de se faire rabrouer comme Pierre. Mais cela ne les empêche pas de discuter entre eux, pour savoir qui est le plus grand. Cette question n’est pas du tout anodine, ni innocente. Lorsque Jésus aura disparu, comme il le leur annonce, qui va prendre le relais pour que l’œuvre commencée se perpétue ?
Ce sont les prémices de ce dont l’épître de Saint Jacques nous mettait en garde :
la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes.
À plusieurs reprises les évangiles nous rapportent que les apôtres se querellent. Il vaut donc mieux se mettre d’accord aimablement pour éviter la jalousie et le désordre. Mais comment faire pour trancher cette question ? On peut comprendre aussi que les disciples discutent entre eux, surtout que Jésus est angoissé par ce qui l’attend à Jérusalem. Inutile de lui en rajouter.
Les apôtres, en se regardant mutuellement, savent bien que Jésus a ses préférences. Les premiers disciples de Jésus, Pierre et André, Jacques et Jean, avaient certainement des raisons de briguer le poste. Pierre, Jacques et Jean eurent le privilège de vivre la Transfiguration. Sans oublier celui que l’évangéliste Jean appelle « le disciple que Jésus aimait ».
La question était donc complexe : qui était capable de succéder au Maître ? Il fallait donc que Jésus choisisse avant de mourir. Mais les disciples avaient peur de lui poser la question, de crainte d’être rabroués comme Pierre le fut par un Passe derrière moi, Satan ! Comme souvent les évangélistes rapportent l’incompréhension des disciples par rapport aux paroles de Jésus. Ils restent trop souvent très terre à terre, alors que Jésus veut leur faire voir autre chose. Les disciples pensent à un royaume terrestre, alors que Jésus veut leur révéler le Royaume des Cieux.
Saint Jean aussi, à sa manière, rappelle dans les dialogues avec Nicodème, la Samaritaine, à la dernière Cène, que Jésus est incompris parce que son message est tellement supérieur à tout ce qu’on pourrait imaginer.
C’est pourquoi Marc rapporte la parabole en image que Jésus propose aux apôtres lorsqu’ils sont rentrés à la maison :
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille.
Tel est le message de Jésus. C’est Lui qui choisit ses disciples et qui leur donne leur vocation. L’ambition n’a pas lieu d’être, Jésus sait ce dont Il a besoin en nous, et sait ce dont nous sommes capables. Et ce n’est pas dans le but d’aller faire de grandes choses, mais de nous mettre au service des plus petits. De nous mettre au service de ceux qui sont à la périphérie, comme nous le rappelle souvent le Pape François.
Pour les moines, la tâche n’est pas d’aller à la périphérie, mais de prendre toutes ces personnes fragiles, rejetées, dans notre prière. Nous pouvons prier pour tous ceux qui se dévouent auprès des plus pauvres, afin que ce soit bien le Christ qui, par eux, se déplace auprès des exclus.
La grandeur terrestre et la grandeur selon Dieu ne sont pas identiques, sans être nécessairement contradictoires. Mais Dieu nous invite à grandir en sainteté à son service plutôt qu’à briguer les honneurs et les responsabilités. La prière d’ouverture de ce dimanche nous dit bien l’essentiel :
Seigneur, tu as voulu que toute la Loi consiste à t’aimer et à aimer sommes prochain :
donne-nous de garder tes commandements, et de parvenir ainsi à la vie éternelle.
Que la participation à cette Eucharistie nous donne la force d’avancer dans la charité du plus faible et le service de Dieu et des hommes.
Père Bernard-Marie