(Col 3,1-4 – Luc 23, 33-43)
Jusque-là ce larron qu’on a fini par appelé « bon » avait bourlingué à travers le monde, sans doute fait les 400 cent coups, de compagnons d’infortunes en mauvaises rencontres, à la recherche d’un bonheur qui le fuit pour finir pendu au gibet en malfaiteur et maudit de Dieu. Comment est-il ainsi devenu « bon » sur le seuil de la mort, alors que Dieu seul est bon ?
A ses côtés il y avait son compagnon de misère mais aussi un autre condamné qu’il ne connaissait pas, et ne semblait pas être un malfaiteur. Tous étaient contre celui-ci et ricanaient en l’apostrophant sans la moindre compassion pour un condamné à mort. Il ne répondait pas aux injures et provocations, mais en ce moment extrême, il priait et ses dernières forces, le peu de souffle qui lui restait il le remettait à Celui qu’il appelait son Père pour qu’il pardonne à ces hommes qu’il excusait de leurs égarements parce qu’ « Ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
Lui, malfaiteur, savait trop bien ce qu’il avait fait et qu’il méritait bien son sort. Ce n’était plus temps de biaiser, ni de se faire illusion, son cœur se libérait d’un fardeau, une paix inconnue l’envahissait et regardant ce Jésus dont il lisait le nom sur la croix et que l’on nommait avec dérision, Messie-roi et sauveur, fut pris d’une immense pitié pour ce malheureux qui subissait la même peine que lui. Parole fulgurante et inouïe dont il ne mesure pas l’abîme : « Ce Dieu qui subit notre peine ! » Condamné lui aussi, fait péché pour nous. Venu prendre sur lui notre condamnation afin de nous soulager.
De ce moment extrême, ce Jésus seul peut encore le délivrer et lui ouvrir les portes de ce lieu qu’il a tant désiré et cherché par bien des moyens sans y parvenir. Son but n’est pas à chercher sur cette terre qui n’a pas répondu à son attente. C’est aux réalités d’en haut qu’il faut penser, ce royaume auquel pense et vers qui se tourne cet Innocent qui prend le sort des pécheurs et meurt avec lui.
La prière de ce juste « fut exaucé ayant offert avec grand cri et larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort ; tout Fils qu’il était fut conduit par ses souffrances jusqu’à son accomplissement et devint pour ceux qui lui obéissent cause de salut éternel, ayant été proclamé par Dieu grand prêtre à la manière de Melchisédech. »
Le larron fut alors inondé de grâce et justifié, il connut la douce bonté de Dieu qui le fit renaître et lui procura ce qui manquait à sa vie, le bonheur en Dieu, son Père.
Mauvais ou bon, à coup sûr larron en paradis, Frère Jean se sentirait proche de ce bon larron. Toujours un peu rebelle, il aurait volontiers arboré le béret rouge des bretons en colère. Fier de cette souche bretonne, il était taillé dans ce granit rugueux sur lequel on s’écorche mais avec lequel on sculpte les plus beaux calvaires. Volontiers râleur et critique surtout avec ses supérieurs et les responsables, et en même temps prompt à répondre aux services demandés ou venir en aide dans un coup dur. Il a ainsi pas mal navigué si l’on peut dire pour un Breton, jusqu’à la communauté N.D des Iles de la lointaine nouvelle Calédonie. Répondant aussi facilement à la demande pour des travaux rudes et cachés en moine défricheur ou divers services apportés à plusieurs monastères de l’hexagone. Observateur attentif des personnalités et des situations rencontrées, sans mâcher ses mots, il repérait bien vite les manques en voyant plutôt la bouteille à moitié vide qu’il fallait, selon lui, remplacer. Son tempérament farouche parfois, dissimulait en même temps la sensibilité d’un cœur jovial et simple qui le poussait à une proximité et un accueil bienfaisant et prévenant auprès des personnes laissées pour compte. Auprès des petits le granit devenait doux et attentionné. Il se fit ainsi de nombreux amis et connaissances.
C’est auprès de ces petits que se trouve la porte du royaume et le visage de Jésus, que les anges indiquent aux bergers, enfant emmailloté dans sa mangeoire, qu’on retrouvera dénudé couché sur le bois rugueux de la croix.
Ce lieu, ce royaume, ce visage, cette douce présence espérée tel est le désir lancinant de F. Jean qu’il est venu poursuivre à la trappe du Mont des Cats, il y a 60 ans. Voulant gouter la vie, la vraie vie, l’éternelle qui est Dieu, il a obstinément épluché quantité de livres et d’auteurs, exploré diverses pistes, interrogé les chercheurs de Dieu, tenté de percé l’expérience des intimes de Dieu, recherchant ces « réalités d’en haut : là où est le Christ assis à la droite de Dieu. » Poursuite traversée d’ombre et de lumière dont on ne voit jamais la fin et laisse insatisfait et frustré, jusqu’au moment, et ce peut-être à l’ultime, ou lorsqu’on ne s’y attend pas, comme ce larron qui a perdu sa vie sans trouver réponse à son désir, c’est alors qu’ouvrant les yeux à côté de soi, Dieu se révèle si simple, si pauvre et dénudé comme un enfant qui se livre tout entier, ou le crucifié dont le dernier souffle est la parole qui engendre à la Vie : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis »
C’est pourquoi, « nous irons tous au paradis ! »
Père Abbé