Vingtième Dimanche du T.O.

La méthode de Jésus peut surprendre, mais elle nous est quand même bien familière. Si rien ne vient nous surprendre, nous n’écoutons que d’une oreille, et encore !
Le point de départ de l’échange est très concret : c’est du pain, avoir de quoi manger aujourd’hui et demain. Jésus s’y accroche et conduit à un point d’arrivée tout aussi concret mais tout à fait étonnant : « mâcher » sa chair. Où donc Jésus veut-il nous conduire ? Comme la plupart des disciples, nous dirons : nulle part ; tout cela est insensé. Certains diront quand même : ‘Tu as les paroles de la vie ». Et, dans cette Eucharistie, c’est ce que nous confessons. Mais comment est-ce possible ? comment est-ce croyable ?
La foule qui avait suivi Jésus avait faim : Jésus a multiplié le pain, il lui en a donné en surabondance. S’il s’arrêtait là, il y a toutes chances qu’on le prenne pour un super-chef ; c’est déjà ce que nous faisons avec  ceux qui font avancer la science ou l’économie de ce monde. Du pain, oui du pain, et nous voilà rassasiés.
Jésus ne vient pas pour ce seul bonheur élémentaire. La vie dont il parle n’est pas la seule vie du corps. Il parle d’une autre vie, étrange : la ‘vie éternelle’. Pour la première, manger du pain est condition sine qua non. Pour la seconde, quelle est la condition ?
L’Évangile de dimanche dernier développait un premier aspect : il s’agit de manger non du pain (qui n’empêche pas de mourir un jour, cf vos pères dans le désert du Sinaï), il s’agit de manger « ma chair », celle même de Jésus, cad de le manger lui. Ce qui est étrange et même extravagant. Que veut-il dire ?
Mais le second aspect est plus étrange encore : c’est le mot de l’évangile d’aujourd’hui. Jésus parle maintenant non seulement de manger sa chair mais, disons-le en français courant, de ‘mâcher’ sa chair. Le verbe n’est plus général, mais très concret, trop concret même, concret au point d’être insupportable. Ce n’est plus de l’extravagance ; c’est plus encore. C’est de la folie. Ou bien…    c’est tout autre chose.
Quelques disciples diront : d’accord, on continue à te suivre. Pourquoi agissent-ils ainsi ? Parce qu’ils ont compris ? c’est peu vraisemblable. Mais c’est qu’ils tiennent bon une chose : ils tiennent à Jésus lui-même, ils ont confiance en lui malgré l’obscurité où il les plonge.
La lumière viendra plus tard, à l’heure de la glorification et de la résurrection de Jésus, cad à l’heure où, dans la chair elle-même, la Vie vaincra la mort. Ce qui éclatera ce jour-là, c’est l’immense désir du Père que Jésus vive ; et Jésus en ressuscitera. Mais tous nous sommes concernés. Jésus est de notre chair et de notre sang. Le Père veut infiniment la vie non seulement de Jésus de Nazareth son fils, mais de nous tous tissés de la même chair. Le Père a une faim immense de nous voir vivants, il en a une faim concrète.
Derrière cet incroyable « ‘mâcher’ la chair » de Jésus, se tient donc cet autre incroyable : le désir même de Dieu, ce désir qui dépasse notre raison mais qui est la réponse la plus juste qui soit à notre propre désir, à ce désir de vie que nous sommes au plus profond de nous-mêmes.
L’incroyable, c’est Dieu et nous-mêmes, tous deux on ne peut plus concrets, voulant vivre et faits l’un pour l’autre. C’est ce que l’Eucharistie nous donne de toucher.

Dom Jacques

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