La tradition cistercienne
Lorsque Robert, Albéric et Étienne quittèrent Molesme pour s’installer à Cîteaux le 21 mars 1098, aucun d’eux n’imaginait que plus de 900 ans après on continuerait à parler de cette étape toute simple comme d’un grand commencement. Comment expliquer cela ?
La fin du XIème et le début du XIIème siècle fut une période de foisonnement de communautés religieuses. Saint Bruno fonda la Chartreuse en 1084, saint Robert d’Arbrissel fonda Fontevraud (en Anjou) en 1101, saint Norbert fonda les Prémontrés en 1121 (diocèse de Laon, Champagne Ardennes). Dans la tradition bénédictine durant la même période, Saint Romuald fonda les Camaldules (en Toscane, Italie) en 1015, Saint Jean Gualbert fonda Vallombreuse (également en Toscane, proche de Florence) en 1035, le Bienheureux Vital fonda Savigny (en Normandie) en 1113, Saint Étienne d’Obazine fonda Obazine (en Limousin) en 1145. Molesme même ne fut fondé qu’en 1075 et connut un développement rapide au point d’avoir une trentaine de prieurés dépendants 20 ans plus tard. Saint Robert souhaitait depuis longtemps reprendre une vie bénédictine plus simple, et il participa à la fondation d’Aulps (en Haute-Savoie) en 1095, avant de fonder Cîteaux en 1098.
Cluny avait eu sa période de gloire un siècle plus tôt, à une période où le pouvoir était entre les mains de l’empereur, du roi, et de ses proches. Le monde maintenant entrait dans la féodalité. Les relations entre individus et communautés évoluaient et demandaient une relation rénovée dans la vie religieuse. C’est la raison de la floraison de fondations nouvelles dans un esprit de proximité et de filiation.
Saint Robert fut l’âme de la réflexion à Molesme qui conduisit d’une part à la fondation d’Aulps puis à celle de Cîteaux. Alors qu’au bout d’un an Robert était rappelé à Molesme, Albéric reprit le flambeau. Pendant les 9 années de son abbatiat Robert mit les bases des Instituta définissant les principaux choix de vie : retour à une vie rythmée par la prière, la vie fraternelle et le travail pour être financièrement indépendant.
Lorsqu’Albéric mourut le 26 janvier 1108, Étienne fut élu pour lui succéder. Les vocations commencèrent à affluer dès avant l’arrivée de Saint Bernard en 1113. Le nouvel abbé se prépara à une fondation en imaginant une relation particulière entre la maison-mère et les maisons fondées. Il rédigea à cet effet la Charte de Charité qui jusqu’à nos jours est un document de référence dans l’Ordre. Cette Charte de Charité donne une vraie différence entre l’ordre cistercien naissant et les autres congrégations fondées à la même époque.
Tels sont les éléments qui marquèrent l’ordre nouveau. Un retour à la lettre de la Règle de Saint Benoît (projet de Saint Robert), un équilibre de la vie monastique où travail et prière alternent de manière harmonieuse (projet de Saint Albéric), une relation empreinte de charité entre les monastères vivant le même idéal (projet de Saint Étienne).
Ce nouvel équilibre fit la renommée la famille de Cîteaux, à tel point que plusieurs congrégations fondées à la même époque demandèrent d’être rattachées à ce tronc solidement enraciné dans la terre monastique. Il en fut ainsi pour les congrégations de Savigny et d’Obazine en 1147. Jusqu’au milieu du siècle suivant des papes suggérèrent ou imposèrent à certaines de petites congrégations de se rattacher à l’Ordre. Aulps se rattacha à Clairvaux en 1136. L’abbaye des Dunes, fondée par Savigny en 1120 près de Koksijde (Belgique), se rattacha à Clairvaux dès 1137.
Robert, Albéric et Étienne, par leur sage direction de l’ordre naissant, par la nouveauté des choix qu’ils firent, furent les fondateurs d’un ordre qui a traversé les siècles et les aléas de l’histoire politique et religieuse. Si aujourd’hui encore nous, moines cisterciens, si nous nous référons toujours au charisme originel, c’est parce qu’il a une réelle valeur. La grâce cistercienne est atemporelle et est vécue sur tous les continents.
En ce jour où nous célébrons nos Saints Fondateurs, rendons grâce à Dieu pour le charisme qu’ils ont insufflé dans l’ordre naissant. Nous sommes invités à continuer à vivre de la Charité qu’ils ont définie comme le maître mot de la relation entre les frères et entre les communautés. C’est cette même Charité qui nous conduit à Dieu, cette même Charité que nous recevons de Dieu lorsque nous participons à l’Eucharistie. Demandons à Dieu de demeurer fidèles à nos Fondateurs, demandons aux Saints Robert, Albéric et Étienne de nous conduire chaque jour davantage vers l’union de Dieu et de nos frères.
Père Bernard-Marie