La Sainte Famille
Deux couples se retrouvent face à face au Temple, on pourrait dire que Jésus Enfant les a convoqués ensemble à cet instant précis.
Syméon et Anne ont en commun de passer leur vie en prière et en jeûne à l’ombre du Temple de Jérusalem. Tous deux attendent la venue du Messie annoncé par les Prophètes et l’Esprit Saint leur a fait le reconnaître en l’Enfant Jésus. Ils sont tous deux trop âgés pour voir l’avènement du Royaume autrement qu’en espérance, sachant bien que Jésus doit d’abord devenir adulte avant de pouvoir prendre toute sa stature de nouvel Élie.
En face d’eux Joseph et Marie qui, sans arrière-pensées, sont venus au Temple pour présenter leur premier-né à Dieu selon les prescriptions de la Loi. Alors qu’ils ont à peine de quoi payer l’offrande des pauvres, deux petites colombes, voilà qu’ils se trouvent soudain au centre d’un attroupement sur l’esplanade du Temple.
Marie et Joseph n’avaient rien demandé, n’avaient prévenu personne de leur venue, et voilà que, d’une certaine manière, l’enfant qu’ils portent dans les bras brille et rassemble à leur insu. Les deux derniers prophètes de l’Ancienne Alliance voient en l’Enfant l’étoile du matin qui se lève et annonce la splendeur d’une nouvelle ère, l’ère des promesses de Dieu faites au Peuple depuis le temps de Moïse, et annoncée encore durant la période glorieuse de David et de sa descendance.
Les deux anciens ne verront pas l’avènement du Règne du Messie, mais tels Moïse sur le Mont Nebo au pays de Moab (Dt 32,49), ils le contemplent de loin sans pouvoir y entrer. Comme Moïse, leur joie est immense d’être spectateurs de la réalisation des promesses faites aux Pères. Ils pourraient reprendre le chant d’action de grâces de Zacharie au moment de la naissance de son fils Jean (Lc 1,68-75).
Joseph et Marie furent sans voix devant tant de jubilation de la part des deux « anciens ». Paroles surprenantes faisant l’éloge du petit enfant :
lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple,
disait Syméon, tandis que la prophétesse Anne renchérissait
en proclamant les louanges de Dieu et en parlant de l’enfant
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Voilà donc des paroles glorieuses, nous pourrions parler du mystère joyeux de la naissance et de l’enfance de Jésus pour ses parents Joseph et Marie. Mais la prophétesse Anne rajoute d’autres paroles qui interpellèrent les jeunes époux. On trouve des paroles similaires dans la bouche de nombre de prophètes anciens, lorsqu’ils expliquent le dilemme de leur propre vocation, ou lorsqu’ils doivent interpeller les grands de leur époque.
Ainsi le prophète Ézéchiel reçoit un livre à manger, qui est doux comme le miel dans sa bouche alors qu’il contient des lamentations et des gémissements. Dieu lui dit encore :
Fils d’homme, va-t’en vers la maison d’Israël et tu leur porteras mes paroles ;
mais la maison d’Israël ne veut pas t’écouter car elle ne veut pas m’écouter.
Toute la maison d’Israël n’est que fronts endurcis et cœurs obstinés. (Ez 3,4.7)
Marie qui a porté dans son sein le Verbe de Dieu, Joseph et Marie qui ont eu la charge de l’éducation de la Parole faite chair, ont bien des fois dû se poser des questions sur la responsabilité que Dieu leur avait donnée. Comment porter le souci quotidien alors que trop souvent voisins et connaissances les prenaient pour des illuminés. Sans parler des réactions de la famille de Jésus adulte, venue le prendre car, disaient-ils, il a perdu la tête (Mc 3,21).
L’évangéliste Saint Luc précise dans un autre passage que Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur (Lc 2,19). Saint Joseph ne fut certainement pas en reste et à eux deux ils ne furent pas de trop pour porter à son plein épanouissement l’Enfant-Dieu. Joseph et Marie initièrent Jésus à la prière, avant que Jésus lui-même ne leur révèle que Dieu était son Père (Lc 2,49).
En ce dernier jour de l’année civile, l’évangile nous a présenté Syméon et Anne, les derniers des prophètes de l’Ancienne Alliance. Avant de célébrer demain, premier jour de l’An Nouveau, Marie Mère de Dieu, nous sommes invités aujourd’hui à vénérer le plus beau couple que la terre ait porté, Marie et Joseph. L’année qui se termine est « vieille », l’année qui s’ouvre est « nouvelle ». De même l’Ancienne Alliance est remplacée par la Nouvelle, en la personne de Jésus-Christ, Fils de Dieu et fils de Marie. Joli raccourci de l’Histoire du Salut dans la simple histoire des hommes. La vie continue, le vieux passe, le nouveau est là. Rendons gloire à Dieu pour les grâces reçues durant l’année écoulée, ouvrons notre cœur pour recevoir les grâces de l’année qui s’ouvre.
Que la participation à l’eucharistie en cette fête de la Sainte Famille nous rappelle que nous sommes membres de la famille humaine, mais également de la famille de Dieu.
Frère Bernard-Marie