D’une certaine façon, cette fête de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie fait contraste avec un jubilé de 60 années de profession monastique. La conception immaculée de Marie est un point de départ, une sorte de commencement absolu. La fête d’un jubilé monastique suppose l’accomplissement de tout un long parcours.
Cependant la Vierge Marie a elle aussi vécu toute une histoire. Si l’Évangile de l’Annonciation que l’on nous propose aujourd’hui indique le socle de sa vie, le reste des Évangiles laisse deviner le parcours qu’elle aussi a dû faire, parcours qu’elle a accompli la première et que nous accomplissons peu à peu chacun à notre tour.
Le jour où l’ange Gabriel se met en route pour une ville de Galilée appelée Nazareth et entra chez une jeune fille dont le nom était Marie, marqua un début absolu dans son histoire. Un inouï s’y produit, elle en est toute bouleversée. Et quand elle s’accorde aux paroles de l’ange et dit : « Que tout se passe pour moi selon ta parole », elle commence un long itinéraire de foi. Cette conception du Seigneur demeure un mystère pour elle ; et qu’est-elle pour tous les gens qu’elle connaît, même pour Joseph ? L’épreuve ne lui est pas épargnée.
Et quand l’enfant sera devenu adulte, viendra aussi le temps des séparations. Si Jésus accompagne Marie sa mère aux noces de Cana en Galilée, il aura aussi des paroles pas si faciles à entendre pour Marie : « Qui est ma mère, qui sont mes frères ? » Et l’obscurité semblera tout recouvrir les jours où il sera livré par les uns et les autres jusqu’à être flagellé et crucifié. Et cependant Marie était là, au pied de la croix.
C’est qu’au fond d’elle-même, elle demeurait attachée au fils de ses entrailles. Mais c’est aussi qu’elle nourrissait son espérance
..de la parole entendue au premier jour : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est ave toi »,
..et de la voix de l’ange, de sa paix : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu » ;
Elle s’appuyait sur la venue de cet envoyé de Dieu, envoyé par Dieu, de ce messager – Dieu lui-même – qui un jour a traversé sa vie.
Ce qu’elle a entendu, senti ce premier jour l’a soutenue au long des jours quelle que soit leur couleur joie ou peine. Un souffle venu d’ailleurs l’a touchée à jamais, et ce murmure léger est devenu le socle de tous ses jours. Déjà, dans cette rencontre première, elle a pressenti dans la salutation de l’envoyé de Dieu : « Je te salue, Marie, Comblée-de-grâce », l’appel de Jésus ressuscité : « Marie », à celle qui pleurait au seuil du tombeau.
Tout un long parcours de vie monastique, cher D. André, resterait inexplicable sans une rencontre première de cette sorte, sans avoir entendu soi-même une telle parole du Seigneur. Et si vous avez éveillé tant de personnes à l’écoute de la Parole, en particulier à cette place, par tant d’homélies durant tant d’années, si tant de personnes ont reçu lumière et espérance grâce à tout ce que vous avez dit et écrit, n’était-ce pas à cause de cet appel toujours en train de résonner au fond du cœur ?
C’est grâce à lui que, particulièrement pendant vos 35 années d’abbatiat, vous nous avez aidés à dégager le visage du Seigneur de toutes les défigurations, de tous les masques qu’il peut revêtir en nous. Et, ensemble, nous avons été attirés par le Seigneur toute miséricorde que chante Isaac le Syrien, et nous avons marché dans son rayonnement.
Lui seul pourra nous accueillir un jour en sa demeure qui n’est faite de rien d’autre, selon l’épître de S. Jean : « Dieu est amour, et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu ». La Vierge Marie n’a pas quitté cette demeure ; elle l’a inscrite dans toute l’histoire de sa vie ; elle nous y attend et nous y invite, elle aussi expression de la tendresse de Dieu à notre égard. Avec elle et par elle, rendons grâces au Seigneur pour tous les dons qu’Il vous a accordés et qu’il nous a accordés, à vous en ce soixantième anniversaire de profession monastique, et à nous tous aussi qui marchons dans cette même voie.