1ère Lect: Apoc 22, 12ss, Evang: Jn 17,20-26
Père Albéric serait le meilleur commentateur de ces textes que nous venons d’entendre. Il fut l’homme de la Bible. Il y vivait, elle le faisait vivre. La Bible, il l’a lue et relue, fouillée et retournée, et tant l’AT que le NT. Et, pour mieux la comprendre, il n’a cessé de lire les études, de prendre des notes, de faire des synthèses, des schémas récapitulatifs, des plans de cours. Un homme de livres, mais surtout un homme du Livre, un homme de la Bible, nourri et passionné par elle. Et, de plus en plus, c’est une quête et une découverte personnelles de toute l’Ecriture et de son centre, le Christ, qu’il transmettait.
Lors de la dernière Retraite de communauté, en mars 2010, il a écrit ces mots tirés eux aussi de l’Apocalypse, au chapitre 14 : « Et je vis un autre ange qui volait au zénith (cad, écrivait-il : venant du plus haut des cieux, venant de Dieu lui-même) ; il avait un « Evangile éternel » à proclamer à ceux qui résident sur la terre : à toute nation, tribu, langue et peuple (cad : un message pour tous les hommes).
Et P. Albéric indiquait le contenu du message. « Cet Evangile annonce ce qui doit arriver bientôt, la venue du Christ ressuscité ». Et il citait l’Apocalypse : « Voici, je viens bientôt, et ma rétribution est avec moi pour rendre à chacun selon son œuvre ».
Cette parole de Jésus dans l’Apocalypse : « Oui, je viens bientôt » était devenue la prière et la certitude de Père Albéric des derniers temps. « Viens, bientôt, Seigneur ! » Ces derniers mois justement, il travaillait le livre de l’Apocalypse ; son dernier travail exégétique, je crois. Déjà il se déplaçait plus difficilement mais il restait fidèle à sa place au scriptorium, lieu de tous ses travaux. Ces dernières semaines lui furent particulièrement pénibles : il ne parvenait plus à se déplacer sans grand risque de tomber, il restait dans sa chambre, mais surtout il n’était plus capable de lire, cela ne fonctionnait plus. « C’est la fin », disait-il. Et lundi après-midi, commença la dernière étape, plus de paroles, seulement quelques regards.
Il achevait ainsi de donner sa vie au Seigneur. Une longue vie monastique de 65 années, une vie de serviteur. L’Ecriture Sainte lui fut demandée comme un service d’enseignement à rendre aux étudiants quand le titulaire d’alors, D. André, fut élu abbé. Un service dans lequel il avait tout à apprendre, à commencer par le grec. Il s’y attela d’arrache-pied, et n’eut jamais d’autre formateur que les livres. Il accepta aussi la charge de frère infirmier, qui est chez nous une tâche pleine de grands et de petits services. Et il fut aussi à plusieurs reprises aumônier chez nos Sœurs de La Fille-Dieu en Suisse : là encore il ne ménageait pas sa peine ; à côté d’une dose régulière de jardinage, il honorait à fond la part d’enseignement qu’on lui demandait. Le Mont des Cats, d’ailleurs, le rappelait régulièrement chaque année, pour qu’il donne, de façon intensive, son cours de Bible. Ce qui lui donnait plus de raisons de se sentir toujours un peu surchargé, débordé.
C’est de la Suisse qu’il rapportera ce qui le fascina ces dernières années et jusqu’à ses derniers jours. Une image inspirée par le saint de la Suisse, Nicolas de Flüe, fut son « tableau de méditation », comme P. Albéric disait. Au centre, un visage, celui du Dieu vivant, et tout autour, à partir de lui et liés à lui, des mystères depuis la Création, l’Incarnation, la Rédemption jusqu’à l’Eucharistie. P. Albéric me disait, nous disait, de manière un peu mystérieuse : « Dieu, ce n’est pas quelqu’un, c’est un visage rayonnant ». Je n’osais pas lui demander plus d’explications, mais il était sûr que c’était en rapport avec le tableau. Il voyait en son centre la gloire rayonnante de Dieu, une gloire qu’il rayonnait dans les mystères de la vie de Jésus et qui allait jusqu’à nous rejoindre. Cette Gloire est celle dont parle St Jean dans la finale du chapitre 17 que nous avons entendue : « Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée ».
Voici la « lecture en raccourci » que P. Albéric a faite de cette « toile de prière », de ce « tableau de méditation ».
« « L’unique Dieu vivant
a rayonné sa Gloire éternelle
dans l’humanité de son Fils Jésus.
Et, au-delà de lui, cette Gloire divine
a rayonné dans la vie de ses fidèles
vivant en communion avec ce Fils bien-aimé du Père.
En effet, par Lui, le Fils,
la « Gloire de Dieu »,
qui est « sa Présence de communion dans l’immédiateté »,
peut rayonner dans l’humanité
par les gestes humains de ses disciples
accomplis avec miséricorde envers n’importe quel prochain. » »
C’est sans doute là l’ultime message que P. Albéric aurait voulu nous partager.
En cette heure-ci, que la prière de Jésus lui-même et celle de P. Albéric se rejoignent, à travers cet autre verset du même chapitre 17 de S. Jean : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant même la création du monde. »