Reprenons les premiers mots de l’évangile qui vient d’être lu. « Ne crains pas, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». Si on relit les pages environnantes de l’Evangile selon S. Luc, cette parole prend plus de relief encore. Des raisons de craindre, Jésus en évoque plusieurs, mais on voit aussi que notre Père est à l’œuvre et que son Royaume pousse au milieu de nous.
« Ne crains pas, petit troupeau ! » Premier motif d’angoisse : alors qu’un troupeau fait penser à un grand nombre, celui-ci est « petit ». Rôde l’angoisse du petit nombre, l’angoisse d’être faible, celle d’être plus exposé aux dangers.
Un peu auparavant, Jésus a évoqué d’autres sources de crainte. L’inquiétude trouve beaucoup de points d’accrochage dans nos vies. Jésus part des plus concrets : l’argent, la nourriture, le vêtement. On entasse des biens par peur de manquer. Ou bien on est inquiet du minimum vital : de quoi se nourrir, se vêtir, se loger. Jésus sait bien sûr nos besoins, mais il s’en prend à l’inquiétude. Cette crainte qui nous travaille, qui nous rive à ces choses, et risque de nous couper de ce qui importe le plus pour la vie de chacun de nous.
Jésus a d’ailleurs évoqué auparavant la situation la plus terrible, celle où l’on menace de nous mettre à mort. Même là, Jésus s’en prend à la crainte. « Je vous le dis à vous, mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus… ».
Un seul grand motif de crainte aux yeux de Jésus : craindre ceux qui peuvent faire plus que tuer le corps, justement. De quoi s’agit-il ? Dans ce passage, Jésus l’explique de manière négative : « craindre ceux qui, après avoir tué le corps, ont le pouvoir de jeter dans la géhenne ».
Cette géhenne désigne le lieu du refus de la dimension la plus profonde de nos vies. Car quelqu’un est en relation de personne à personne avec nous ; nous sommes dans une relation avec une personne de toute confiance, une relation toujours déjà donnée à nous tous, qui que nous soyons. « Personne n’est oublié de Dieu », dit Jésus. Il le dit des moineaux mais c’est vraiment de nous qu’il parle. Le Seigneur sait le compte des cheveux de notre tête. C’est dire que le Seigneur vibre à l’unisson de la moindre parcelle de nous-mêmes, qu’elle soit corporelle ou spirituelle.
Plus encore : le Seigneur travaille cette terre que nous sommes. Il est toujours ce semeur du Royaume. Jésus l’affirme aujourd’hui : « Votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». Cette présence mutuelle de Dieu et de nous, en nous et en Lui, voilà le trésor caché, la perle précieuse, unique, ce qui mérite attention plus que tout au monde. Lui en nous, Lui en moi, Lui en mes frères.
La découverte de ce trésor n’est pas au bout d’un coup de pioche. Il est le fruit d’une veille du cœur, d’une veille de tout l’être. Lui, le Seigneur, sait comment se faire connaître de nous et nous mettre en éveil. Alors, nous resterons en tenue de service, comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, toujours prêts à l’accueillir.
Heureux ceux qui guettent la vraie joie du cœur de l’homme.
Père Abbé