Trentième dimanche du T.O. Année B

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Jer 31, 7-9; Heb 5, 1-6; Mc 10, 46b-52 .

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Il y a des moments, dans certains passages des évangiles, comme celui que nous venons d’entendre, où l’émotion est presque palpable, deux mille ans après les faits. Malgré cette distance, l’événement a conservé toute sa fraîcheur et son incroyable force. Nous sommes touchés par la détresse de cet aveugle, agacés par la foule des bien pensants qui veulent le faire taire, étonnés par le cri de folle espérance qui jaillit de ses lèvres, et bouleversés, lorsque Bartimée, jetant son manteau, bondit vers Jésus.

Cette émotion de l’aveugle Bartimée, fils de Timée, devient imperceptiblement la nôtre, parce que, d’une certaine manière, nous percevons obscurément, que sa détresse est aussi la nôtre, que son cri pourrait jaillir de nos lèvres. Nous comprenons intuitivement que son histoire, c’est vraiment la nôtre.

La rencontre de Jésus et de Bartimée fait partie de ces moments uniques, infiniment précieux, qui portent en eux l’histoire de millions de vies, avec leur cortège d’aveuglement, de désespoir, de moments de lucidité, et de découverte vertigineuse de nos limites. Si nous nous sentons si proches de Bartimée, c’est parce que, comme lui, nous avons tout essayé, tout tenté, tout expérimenté pour nous en sortir, pour trouver une issue, et que nous avons terriblement conscience de rester, nous aussi, sur le bord du chemin.

La première victoire de Bartimée, c’est qu’il se sait aveugle. Contrairement à cette foule qui l’entoure et le rabroue, le fils de Timée, dont le nom a été précieusement conservé par l’évangéliste, sait qu’il ne sait pas. Il a cette conscience vive, douloureuse, qu’il ne voit pas. Il sait qu’il marche dans la nuit et que la lumière lui manque. La force de Bartimée, c’est qu’il connaît ce qui lui manque.

Mais la grâce de Bartimée, c’est surtout d’oser crier sa détresse. Nous sommes si nombreux à ne pas voir, à vivre dans l’obscurité de nos nuits, mais à ne pas oser demander, à ne pas avoir le courage de crier vers Dieu. Il nous manque la confiance un peu folle de cet aveugle qui brave le regard critique et le jugement moqueur des autres. Il nous manque cette simplicité de l’homme qui n’a plus rien à perdre, parce qu’il a tout essayé, parce qu’il se sait perdu.

Il semble que Jésus n’attendait que cela, qu’il ne guettait que ce cri, pour guérir sa maladie. Malgré la foule qui s’ingénie à lui dissimuler celui qui l’appelle, Jésus le reconnaît, il l’appelle et provoque même sa demande: « que veux-tu que je fasse pour toi? » La rencontre de Jésus et de Bartimée, c’est la rencontre de deux attentes, de deux désirs fous: le désir de l’homme qui se sait malade, aveugle, pauvre, et le désir plus fou encore de Dieu qui veut nous sauver.

L’histoire de Bartimée, c’est l’histoire de la foi, de cette aventure de la foi qui fait céder toutes les peurs, qui emporte les obstacles, ouvre toutes nos prisons et vient frapper à la porte de Dieu, sans plus se soucier du regard des autres. L’histoire de Bartimée, c’est l’aventure de la foi qui vient brusquement renverser la morne tranquillité de nos aveuglements, pour y faire jaillir la lumière de la vie. L’histoire du fils de Timée peut aussi devenir notre propre histoire.

 

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