Trente-et-unième Dimanche du T.O.

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Dt 6, 2-6; Hb 7, 23-28; Mc 12, 28b-34 .

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Dieu, le prochain, soi-même, cette trilogie de l’amour, que nous dévoile Jésus, dans le passage de l’Evangile de Marc, que nous venons d’entendre, ne peut laisser de nous surprendre. En effet, si nous comprenons assez facilement que l’amour puisse s’adresser à notre prochain, à ceux qui nous entourent, ou encore qu’il s’oriente vers ce Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ, nous avons du mal à comprendre comment nous pourrions être la mesure de cet amour.

Car Jésus dit non seulement qu’il s’agit d’aimer le prochain comme soi-même, mais, en reprenant la formule du Deutéronome, il souligne aussi que l’amour de Dieu passe par notre coeur et notre intelligence. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force » . Ainsi est-ce bien par le coeur de l’homme, par notre propre coeur, que passe la mesure de tout amour.

Mais qu’est-ce que cela signifie donc, « s’aimer soi-même »? Quel est donc cet amour de soi qui ouvre de si vastes horizons, à mille lieues de cet égoïsme cynique qui nous heurte dans cette expression pour nous si négative : l’amour de soi?

En introduisant cet « amour de soi » dans sa réponse au scribe, et en faisant du second commandement l’égal du premier, Jésus nous désoriente et nous laisse confondus. Il nous oblige à nous pencher sur nous-mêmes d’une manière tout à fait nouvelle.

Nous sommes loin des grandes théories sur l’amour désintéressé ou sur le goût de l’absolu, qui envahissent si souvent les discours de spiritualité chrétienne. Ces grandes théories peuvent bien satisfaire l’intelligence, mais elles laissent le coeur tout à fait sec. Jésus, au contraire, nous ramène au noeud du problème: celui qui ne s’aime pas ne peut pas aimer son prochain, et ne peut donc pas non plus aimer Dieu.

Mais, en agissant ainsi, Jésus veut nous pousser dans nos retranchements. Est-il donc possible que l’on ne s’aime pas soi-même? Est-il possible que nos difficultés avec les autres, et avec Dieu, aient leur source en nous? Pourtant, nous avons l’impression que cet amour de nous-mêmes n’est pas un problème. Non, ce sont plutôt les autres, et souvent Dieu Lui-même qui nous posent problème, mais nous?

En nous plaçant au coeur du commandement de l’amour, Jésus réveille en nous une étrange blessure. N’avons-nous pas tous, un jour ou l’autre, ressenti cette peur de ne pas être vraiment aimable? N’avons-nous pas tous, un jour ou l’autre, rêvé d’être un autre? Et n’est-ce pas dans cette difficulté de nous prendre tels que nous sommes, avec tout notre héritage, toute notre histoire, avec tout ce que nous traînons derrière nous, sans l’avoir choisi, que réside bien souvent la source de tous nos refus d’aimer?

S’il met ainsi le doigt sur la plaie, ce n’est pas pour nous faire souffrir. Comme un bon médecin, Jésus sait que le premier pas de la guérison est la prise de conscience du mal qui nous ronge. Que ce soit avec le jeune homme riche, avec le fils prodigue ou la brebis égarée, Jésus nous révèle d’abord que nous sommes aimables, que Dieu pose sur nous un regard plein d’amour et de compassion. Nous n’avons plus à avoir peur de nous-mêmes.

Si le Fils de Dieu a pris cette peine de venir jusqu’à nous, et d’assumer ce rôle de grand Prêtre, comme le disait le passage de l’Epître aux Hébreux que nous avons entendu, c’est bien parce que nous avons du prix à ses yeux. C’est dans cet amour que Dieu nous porte, depuis toujours, que nous pouvons retrouver le goût de nous aimer nous-même. « Car en ceci consiste l’amour », c’est de découvrir que « Lui, le premier, nous a aimés ».

 

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