Solennité du Saint Sacrement, Année B

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Ex 24, 3-8; Hb 9, 11-15; Mc 14, 12-26.

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C’est dans une atmosphère un peu étrange et pleine de mystère, que s’ouvre le passage de l’Evangile, que nous venons d’entendre. Sans doute n’est-ce pas sans raison que Saint Marc s’attarde si longuement à décrire le cheminement des disciples jusqu’au cénacle, au point d’y consacrer la moitié de son récit. Pour les conduire à l’endroit où Il célébrera, avec ses disciples, pour la dernière fois, le repas de la  Pâque, Jésus choisit en effet le signe étonnant de ce porteur d’eau, qui croise silencieusement la route des disciples. C’est en le suivant qu’ils finiront par atteindre la salle du repas, non sans avoir d’abord répondu aux questions du propriétaire des lieux.

Nous sommes bien loin de ces grands rassemblements, de ces foules qui se pressaient pour écouter Jésus, sur la montagne des Béatitudes ou au bord du lac. Pour ce dernier repas, Jésus choisit l’intimité d’un petit groupe de disciples, le secret d’une chambre haute, qui n’est accessible qu’après un long cheminement, qui ressemble fort à un parcours d’initiation, à un baptême de purification. Avec l’Eucharistie, le Très Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, nous entrons donc dans une autre dimension du mystère de Jésus. Une dimension qui ne nous est pas immédiatement accessible.

En effet, pour pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie, le mystère du Corps livré et du Sang versé, il nous faut d’abord passer par le mystère de notre propre humanité. Ce mystère s’enracine dans la plus antique tradition biblique, et bien au-delà encore, dans cette pratique du sacrifice qui remonte à la nuit des temps, aux origines mêmes de l’humanité. En effet, quelles que soient sa nature ou sa forme, cette pratique universelle du sacrifice révèle d’abord cette déchirure au coeur de l’homme, qui ne peut se suffire à lui-même et qui se tourne vers un Autre. Par delà les images sanglantes, qui nous répugnent tant aujourd’hui, le sacrifice exprime donc essentiellement l’expérience de notre finitude et celle de notre désir d’infini.

En reprenant cette dimension universelle de notre humanité, dans l’Eucharistie, Jésus lui confère cependant une  tonalité radicalement nouvelle. S’il nous donne Son Corps à manger, Son Sang à boire, ce n’est plus pour apaiser la colère de quelque divinité lointaine, ou pour obtenir quelque avantage particulier, à force de cadeaux et d’offrandes. En reprenant ce langage universel du sacrifice, Jésus lui donne un sens radicalement nouveau.

S’Il offre Son Corps et Son Sang en nourriture, c’est pour nous, par amour pour nous. Dieu n’exige rien, Il ne prend rien, mais c’est Lui qui se donne. Tel est bien le grand paradoxe de l’Eucharistie : Jésus renverse complètement la logique du sacrifice. Ce n’est plus l’homme qui offre quelque chose à Dieu, pour L’apaiser ou obtenir des bienfaits, mais c’est Dieu qui se donne à nous.

Et ce retournement va encore plus loin que nous ne pourrions l’imaginer. En effet, Jésus ne se contente pas d’offrir Sa vie pour Ses amis, Ses disciples, Son Eglise, mais Il se donne, comme Il le dit Lui-même, pour « la multitude », c’est-à-dire pour tous ces êtres qui n’ont jamais entendu parler de Lui ou qui le rejettent et le méprisent. Dieu Se donne sans limites, sans restrictions, sans mesure. L’Eucharistie c’est donc le sacrement de cette démesure de Dieu, qui va jusqu’à S’offrir à ceux qui Le repoussent, qui Le rejettent, qui Le trahissent et L’assassinent encore, à nous qui oublions si facilement tout ce qu’Il fait pour nous!

Frères et soeurs, en ce jour où nous célébrons le Très Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, arrêtons-nous un instant. Demeurons près de Celui qui s’est donné pour nous, par amour pour nous.

 

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