Solennité des Saints Fondateurs de Cîteaux

Abbaye ND de Rougemont, Canada
+
Si 44, 1.10-15; Hb 11, 1-2.8-16; Mc 10, 24b-30.
+
Alors que la plupart des ordres religieux tirent leur nom de leur fondateur, comme par exemple les franciscains de François ou les bénédictins de Benoît, les cisterciens, comme les chartreux ont reçu leur nom d’un lieu, Cîteaux en Bourgogne ou la Grande Chartreuse dans les montagnes des Alpes, pour exprimer leur identité profonde. Cependant, à la différence des chartreux, qui se réclament d’un seul et unique fondateur, Saint Bruno, les cisterciens se rattachent à un groupe de fondateurs, à une communauté, à une communion de frères. On peut même supposer que si les seuls noms des abbés sont restés dans la mémoire de l’Ordre, c’est parce qu’il n’était pas encore habituel, à l’époque, de canoniser un groupe entier de frères.
Ainsi, l’arbre de Cîteaux, en ses multiples ramifications, s’enracine dans une terre et une communion de frères. L’amour du lieu et des frères est constitutif de notre identité monastique cistercienne, comme la solitude des montagnes pour les chartreux ou la pauvreté pour les franciscains. Creuser notre histoire, chercher à connaître ces hommes qui nous ont précédés, comme le dit le Livre de la Sagesse, essayer de partager le mystère de leur foi, comme nous y invite l’Epître aux Hébreux, c’est donc retrouver un peu de notre propre histoire, de notre propre cheminement. C’est retourner aux sources de ce qui amena chacun d’entre nous à frapper un jour à la porte de notre monastère, pour y planter notre tente.
Pour ce faire, pour essayer de comprendre ce qui nous a poussés à entrer dans ce monastère et à y demeurer, l’évangile de ce jour peut nous aider. Dans un dialogue où perce l’émotion et la stupeur, les disciples entendent de la bouche même de Jésus qu’il « est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu », voire « impossible »! Il y a là de quoi désespérer le plus enthousiaste des admirateurs de Jésus. Pourquoi, alors, tout laisser derrière soi, famille et maisons, richesses et pouvoir, patrie et passions, s’il est impossible d’entrer dans le Royaume? La question de Pierre est aussi la nôtre. Et cet « à quoi bon », cette lassitude et ce découragement qui a alors saisi les proches de Jésus, nous le connaissons, nous aussi.
Pour entrer au monastère, et surtout pour y demeurer et y persévérer, il faut s’être heurté, un jour, à ce mur de l’impossible et l’avoir traversé. Il faut avoir perçu, jusqu’au dégoût, jusqu’à l’étouffement et parfois même jusqu’au désespoir, l’impossibilité d’aimer le lieu et les frères où Dieu nous a pris au piège. C’est alors que les psaumes, tous les psaumes, même les plus terribles imprécations, prennent chair, dévoilent tout à coup leur sens, sous la plume de l’Esprit Saint qui les réécrit dans nos coeurs. Pour demeurer au monastère, il faut avoir découvert, dans la douleur, que je ne sais pas aimer, que l’amour, je n’en connais pas le premier mot, le premier balbutiement. Pour persévérer dans la vie cistercienne, il faut accepter d’apprendre ce que l’on croyait connaître, et consentir à s’asseoir à l’école de l’amour.
Et l’amour, pour qu’il devienne vrai, doit se concrétiser, s’incarner dans un lieu, dans des visages. La vocation cistercienne n’a rien à voir avec un rêve de pureté personnelle ou une recherche de perfection. Elle suppose le long apprentissage des êtres et des choses, cette lente familiarité avec les réalités les plus simples de l’existence où le doigt de Dieu nous montre le chemin de la béatitude. Ce long apprentissage de l’amour, à l’école des Ecritures, sous la garde bienveillante d’un abbé et la souriante compassion d’anciens, suppose du temps, une longue patience et surtout beaucoup d’humour. L’humour est la marque propre de l’humilité, dans la vie monastique. Car c’est en apprenant à sourire de soi, à composer avec ses faiblesses, que l’on peut enfin apprendre à aimer et surtout à se laisser aimer, tout simplement, par Celui qui nous aimés, Lui, le premier.
Ce contenu a été publié dans Homélies 2009. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.