Fête du Baptême du Christ

Dieu n’apparaissait pas. Depuis des siècles, il faisait silence. Et s’il devait apparaître un jour, comment le ferait-il ? L’homme n’en savait rien, pas même le Baptiste. Dieu suivrait ses voies, il se manifesterait comme Dieu, comme le Dieu qu’il est, comme tout ce qu’il est : une personne offerte, totalement dépouillée d’elle-même.
En effet, quand après tant de silence, une voix retentit : quel éclat ! Et même quel fracas ! « Engeance de vipères ! » La voie droite, Jean la crie sans crainte, même à ses spécialistes les Pharisiens ; il les menace de la « colère qui vient » ; il démonte leur fausseté, l’étiquette dont ils se recouvrent : « Nous avons pour père Abraham ». Un vrai prophète, ce Jean.
Or, Jean annonce un mystérieux « plus fort que lui », par rapport à qui il sera tout petit, pas digne de lui ôter ses sandales. Celui-là baptisera aussi mais pas seulement dans le feu : ce sera aussi dans « l’Esprit Saint ».
Et quand celui-là vient aux bords du Jourdain, Jean se récrie : il refuse de le baptiser, il voudrait plutôt être baptisé par lui.
Cette nouvelle voix de Dieu, cette nouvelle présence de Dieu, dépasse donc de loin Jean que pourtant Jérusalem et tout le pays reconnaissaient comme prophète. Mais ce prophète plus grand qui arrive au Jourdain ne proclame rien.
Il ne crie pas plus fort que Jean, il ne fait pas non plus chorus avec lui. Il prend simplement la place de tous ceux qui sont là, tous ces gens « venus se faire baptiser par Jean dans le Jourdain en confessant leurs péchés ». Au milieu d’eux, il reçoit le baptême comme eux.
Les voies de Dieu sont étranges ; elles ont vraiment changé. Dieu ne s’annonce plus du haut de sa sainteté, relayé par la voix de tous ses messagers et prophètes. L’on n’est plus renvoyé à l’immense qui accuse notre nullité. Non, quelqu’un est là au milieu de nous. Et loin de se distinguer des pécheurs et de leur faire face, il choisit d’être là à leurs côtés ; et pour manifester ce total renversement des choses, il veut recevoir ce baptême que demande et reçoit le pécheur.
Il ne changera pas d’attitude au long de sa vie. Il se fera accompagner par des vauriens. Il appellera le publicain Matthieu ; il ira loger chez ce profiteur sans scrupules Zachée ; il sera mal vu, on le traitera de « glouton, d’ivrogne, et d’ami des publicains et des pécheurs ».
Et sa fin sera digne d’une telle carrière. Ce sera celle d’un « maudit » : il sera pendu au gibet, au milieu de malfaiteurs. Vraiment la mort d’un pécheur.
Ainsi la question se pose jusqu’au bout, jusqu’à cette heure extrême : qui est-il donc ?
C’est à cette question que répondent déjà l’événement et le récit du Baptême de Jésus. L’événement scelle pour Jésus personnellement ce qu’il avait mûri en lui-même jusque là, le mystère de sa filiation divine et de l’habitation de l’Esprit Saint en lui.
Et le récit de l’Evangéliste que nous entendons aujourd’hui attire notre attention sur cette personne que Jean pressent et qui le fait reculer.
Les cieux et la terre à cet instant communiquent : ils s’ouvrent l’un à l’autre. La voix qui se fait entendre renvoie à ce Serviteur que le Seigneur a élu, et en qui il a mis tout son amour. Un serviteur qui, selon Isaïe, est envoyé aux pauvres de la terre…
Ce serviteur est plus encore : il est ce bien-aimé de la Genèse : cet unique, ce fils, ce bien-aimé, que Dieu demande à Abraham de sacrifier. Ce Fils bien-aimé du Père annonce aujourd’hui au Jourdain son chemin avec les pécheurs. Il ne les quittera plus. Il ira jusqu’au bout avec eux et pour eux. En cela, le Père le reconnaît et le reconnaîtra, jusque par-delà sa mort ;  et le Père nous reconnaît et nous reconnaîtra avec lui jusque par-delà notre mort.
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