Vingt-huitième Dimanche du Temps ordinaire

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2 R 5, 14-17; 2 Tim 2, 8-13; Lc 17, 11-19.

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« Les neuf autres, où sont-ils? » La question de Jésus peut être comprise à plusieurs niveaux et de manières très différentes. Elle pourrait d’abord signifier un reproche à peine voilé à l’égard de ces hommes qui n’ont pas su faire preuve de gratitude envers celui qui les avait guéris. C’est souvent ainsi, d’ailleurs, que l’on interprète ce passage de l’Evangile de Luc. Dans cette perspective, Jésus voudrait pointer du doigt l’égoïsme de ceux qui se servent de Dieu pour leur propre bien-être, et L’oublient dès que ça va mieux.

Mais on pourrait comprendre la question de Jésus d’une autre manière. Elle pourrait, en effet, souligner le manque de liberté de ces hommes qui, au lieu de revenir vers Jésus pour rendre gloire à Dieu, ont préféré accomplir jusqu’au bout le précepte de la Loi et aller se montrer aux prêtres. Leur guérison n’a pas suffi à les libérer de la peur viscérale qui les tenaille. Certes, Jésus les a guéris, et ils lui en sont sans doute reconnaissants, mais ils préfèrent rester sous la protection de la Loi de Moïse et en accomplir tous les rites.

Enfin, il est possible d’interpréter la question de Jésus comme une interrogation beaucoup plus essentielle, liée à notre être profond. L’être humain ne devient véritablement humain que lorsqu’il s’inscrit dans une histoire, lorsqu’il devient capable de faire mémoire. C’est la transmission de cette histoire, de génération en génération, qui a fait d’Israël un peuple. C’est parce qu’Israël n’a cessé de faire mémoire des merveilles de Dieu dans son histoire, qu’il est devenu le peuple de Dieu. Le souvenir est le premier mot de la foi d’Israël.

Ainsi, la question posée par Jésus dépasse largement la sphère morale et même religieuse. Jésus nous invite à nous interroger sur notre propre destinée. Sommes-nous capables de discerner les traces du passage de Dieu dans nos vies? Sommes-nous en mesure de relire les merveilles que Dieu a accomplies dans notre propre histoire? Sommes- nous assez libres pour sortir des schémas tout faits que nous impose la mentalité de notre époque, pour rendre gloire à Dieu de tout le bien qu’il nous fait? Notre histoire personnelle est-elle une suite d’événements dus au hasard, ou bien sommes-nous capable de la relire comme une histoire sainte?

La question est essentielle, elle est même d’une extrême actualité, à une époque où le passé, l’histoire, semblent devoir s’effacer devant un avenir plein de promesses. Pourtant, ce que nous rappelle la Bible, et que Jésus vient ici conforter, c’est qu’il n’existe pas d’avenir pour celui qui n’a pas de racines, pas de passé. Que nous le voulions ou non, nous sommes des êtres de mémoire. C’est dans la mesure où nous sommes capables de relire notre vie, de mettre au jour les traces de l’invisible dans les événements, que nous pouvons regarder l’avenir comme une promesse.

Car l’enjeu est bien là. Nous avons besoin d’apprendre à reconnaître la bonté de Dieu dans notre passé, pour pouvoir croire en l’avenir. La confiance, la foi, ne s’appuient pas d’abord sur des formules toutes faites ou des institutions vénérables, mais sur cette expérience intime que Dieu nous accompagne, dès avant notre naissance, et qu’Il ne nous laissera jamais tomber. C’est pourquoi l’Eglise nous invite chaque Dimanche à célébrer le mémorial de notre salut, où nous rappelons l’immense amour de Celui qui nous a aimés plus que Lui-même.

L’espérance, la joie, la paix sont les fruits de ce travail de mémoire, de relecture, d’intelligence que Jésus nous invite à faire. La bienveillance de Dieu, sa bonté sans limites, son amour de prédilection nous accompagnent et nous guident. Alors, de quoi aurions-nous peur? Pourquoi serions-nous inquiets pour un avenir qui ne dépend pas de nous? La fidélité de Dieu est notre unique appui. Et nous savons qu’elle ne nous fera jamais défaut.

 

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