Dix-huitième Dimanche T.O., Année A

+
Is 55, 1-3; Rom 8, 35.37-39; Mt 14, 13-21.
+
La scène, évoquée par Saint Matthieu, que nous venons d’entendre, multiplie à plaisir les contrastes. D’une part, il y a Jésus qui cherche la solitude, et d’autre  part cette foule qui vient à lui et le rejoint au désert. Puis il y a l’immensité de la foule, “cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants”, nous dit l’Evangile, et seulement “cinq pains et deux poissons”. Enfin, il y a le réalisme prudent des Apôtres qui s’oppose à l’accueil inconditionnel de Jésus: “donnez-leur vous-mêmes à manger”!
Cette rencontre des contraires, ce contraste entre les simples réalités humaines et la présence de l’invisible, nous les retrouvons dans chacune de nos Eucharisties. Nos églises ne sont-elles pas, en effet, ces lieux à l’écart, souvent solitaires et déserts, où Jésus est présent? N’y a-t-il pas aussi une disproportion écrasante entre notre attente profonde, le désir des foules de notre temps, et les pauvres moyens humains qui sont à notre disposition?
Ce qui peut nous apparaître comme un obstacle, une  radicale insuffisance, une insupportable pauvreté, au premier abord, se révèle, dans les mains de Jésus, la condition d’une extraordinaire fécondité. Dieu se joue de nos prévisions, de nos richesses, de nos mérites. Il peut nourrir des foules immenses à partir de notre pauvreté, si nous osons lui faire confiance, si nous osons nous appuyer sur sa parole!
Ainsi, notre pauvreté, notre misère,  notre petit nombre, toutes ces limites qui nous apparaissent chaque jour plus criantes, peuvent devenir, entre les mains de Jésus, un chemin de grâce, si nous y consentons. Dieu ne fait pas des miracles malgré notre faiblesse, mais dans notre faiblesse. Il a besoin de notre pauvreté, de nos limites, qui sont comme ces cinq pains et ces deux poissons, qui étaient absolument nécessaires pour que s’accomplisse le miracle et que soient nourries les foules.
Le miracle de la multiplication des pains est donc une parabole du mystère de l’Eglise, de l’Eglise de tous les temps, de l’Eglise de notre temps. Une Eglise désertée, mise à l’écart, une Eglise sans grands moyens et dont la tâche semble toujours plus démesurée,  au delà des limites de l’impossible.
Dieu n’a pas besoin de notre force, mais de notre faiblesse et de notre patience! Il a besoin d’humbles vases d’argile, pour porter son trésor, comme le dira Saint Paul. Il a besoin d’un peu de levain pour faire lever toute la pâte et de quelques pincées de sel pour lui donner du goût. Il a besoin d’une graine de sénevé, insignifiante et minuscule, pour abriter les oiseaux du ciel. Il a besoin de nous, tels que nous sommes.
Qu’importe que nous ne soyons pas à la hauteur de la tâche qui nous est confiée. Qu’importe que nous soyons dépassés par les événements. Comme ce petit bout de pain, qui sera tout-à-l’heure consacré et qui deviendra alors le Corps du Seigneur, nous sommes appelés, nous aussi, à porter Dieu dans notre fragilité.
Si nous étions forts, si nous étions riches, si nous étions les meilleurs, ceux qui viennent à nous pourraient encore penser que cela vient de nous. Ils pourraient s’imaginer que ce qu’ils reçoivent dépend de nos dons et de nos capacités. Mais il suffit de nous voir pour en douter. Notre fragilité, loin d’être un obstacle, est une grâce pour tous ceux qui nous rencontrent. Car en nous, ils peuvent voir Dieu travailler à découvert. Ils peuvent saisir que Dieu peut tout, parce que nous sommes réduits à rien.
Cette logique du Royaume, cette logique de l’Evangile, nous avons du mal à l’accepter. Elle correspond si peu aux critères d’efficacité et d’utilité qui sont ceux de notre société. Elle nous met un peu à l’écart, aux marges d’un monde qui semble courir plus vite que son ombre! Et bien tant pis, ou plutôt tant mieux. Laissons Dieu transfigurer notre faiblesse. Laissons-Lui le choix des moyens car Lui seul sait comment toucher le coeur des hommes.
Ce contenu a été publié dans Homélies 2008. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.